L’Équateur est ébranlé, depuis plus d’une semaine, par un mouvement social ascendant. Le courant tectonique de gauche qui a marqué, ces dernières années, les présidentielles dans les pays latino-américains a donné des ailes aux progressistes équatoriens.
L’Équateur, ce pays sud-américain de la façade pacifique, de près de 18 millions d’habitants répartis sur 256 370 km2, est en proie, depuis plus d’une semaine, à un mouvement de protestation des indigènes. La hausse des prix fut l’élément déclencheur de manifestations dont l’ampleur conduit, à présent, les animateurs à s’orienter vers des revendications d’une autre nature.
Six provinces sur les 24 que compte le pays sont, depuis ce mercredi, placées en état d’urgence. Il s’agit des provinces de Chimborazo, Cotopaxi, Imbabura, Pastaza, Pichincha (capitale Quito) et de Tungaruhua. Ces circonscriptions représentent plus du quart de la population du pays. D’ores et déjà, les troubles touchent Quito, la capitale où un couvre-feu, entre 22h et 5h, a été instauré.
Faux barrages
L’ambassade des États-Unis appelle ses ressortissants à « faire preuve d’une extrême prudence lorsqu’ils se rendent à l’aéroport en raison de manifestations et de barrages routiers ». « Les responsables de l’ambassade et du consulat des États-Unis ont également reçu pour instruction d’éviter les déplacements par la route et de rester sur place », précise le communiqué de l’ambassade américaine.
L’Équateur est dirigé depuis le 24 mai 2021 par Guillermo Lasso Mendoza, homme d’affaire et banquier de profession qui fut ministre de l’Économie sous son prédécesseur, l’avocat d’origine libanaise Jamil Mahuad Witt (lui-même porté au pouvoir par l’Union démocrate-chrétienne).
Pour l’heure, la province de Guayas -la plus peuplée du pays- dont le président est originaire, échappe aux mesures d’exception.
Cela dit, il n’est pas certains que la hausse des prix, bien que sévère, soit le seul facteur à l’origine de ces troubles.
Contagion de gauche
Après le basculement inattendu de la Colombie, pays traditionnellement conservateur, dans le camp de gauche, à l’issue de l’élection, le 19 juin dernier, de Gustavo Francisco Petro Urrego, ancien membre du mouvement de guérilla urbain M-19, comme président, l’Équateur est, aujourd’hui, complètement cerné par des pays qui ont divorcé avec les dogmes de l’ultra-libéralisme voilé, pour la circonstance, de « liberté ». Ce virage collectif à gauche place, le plus souvent les préoccupations des peuples autochtones au centre des différentes stratégies politiques. L’effet de cette lame de fond n’est sans doute pas étranger aux troubles qui secouent l’Équateur depuis plusieurs jours.
Paradoxalement, cette évolution et en particulier le changement de cap en Colombie, met le Venezuela à l’abri des déstabilisations orchestrées, faut-il le rappeler, depuis l’extérieur.
Le virage effectué par la Colombie n’est qu’un maillon d’une longue chaine de succès des forces de gauche
En Bolivie, porté par le Mouvement vers le socialisme (MAS), le ministre de l’Économie et des finances publiques sous Evo Morales, Luis Alberto Arce Catacora remporte la présidentielle du 18 octobre 2020.
Au Pérou, le syndicaliste et l’une des têtes pensantes de la grève nationale des enseignants de 2017, José Pedro Castillo Terrones triomphe à l’occasion de la présidentielle de juin 2021 en tant que candidat de Pérou libre, un mouvement marxiste-léniniste. El Profe bat de justesse Keiko Sofía Fujimori, candidate malheureuse, pour la troisième fois, à la magistrature suprême du pays.
Les regards se tournent vers les Brésil
Au Chili, à la tête d’une coalition de gauche, près d’un demi-siècle après la disparition tragique du président Salvador Allende, Gbariel Boric Font (36 ans) remporte l’élection présidentielle du 19 décembre 2021.
Au Suriname, membre du Parti de la réforme progressiste, Chan Santokhi est à la tête du pays depuis le 16 juillet 2020
En Guyana, porté au pouvoir par le Parti populaire progressiste, Mohamed Irfaan Ali préside aux destinées du pays depuis le 2 août 2020
En Argentine, l’élection du 27 octobre 2019 avait porté Alberto Fernández au pouvoir. En dépit de l’appartenance de celui-ci au Parti nationaliste constitutionnel, de ses tweets pour le moins triviaux et de ses déclarations du 9 juin 2021 à propos des Brésiliens et des Mexicains, frisant le racisme, il n’est pas dit que le régime reste insensible aux courants politiques tectoniques en cours en Amérique Latine et même en Amérique centrale si l’on prenait en compte le Mexique, dirigé depuis, 1er décembre 2018 par Andrés Manuel López Obrador.
En fait, outre l’Équateur et l’Argentine, il n’y a plus que le Paraguay et l’Uruguay qui sont encore controlés par des conservateurs.
Enfin, le mouvement social et politique qui secoue l’Équateur survient alors que tous les regards étaient braqués sur le Brésil pour la présidentielle d’octobre prochain. À en croire les sondages, l’ancien président de gauche Luiz Inàcio Lula da Silva pourrait bien déboulonner le conservateur Jair Bolsonaro.
Dans le contexte de réajustement du rapport de forces à l’échelle mondiale, ces évolutions majeures sont de nature à impacter les enjeux géostratégiques.
Dahmane SOUDANI
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