Le départ de l’arrière-garde de la 3issaba est de nature à garantir une transition saine et des élections propres. Elle désamorcera, par ailleurs, le piège tendu par Saïd Bouteflika.
Le général Bédouin défend une sortie de crise en empruntant la voie strictement constitutionnelle, bien que l’article 7 de la constitution permette de s’écarter exceptionnellement de cette voie. On pourrait s’en satisfaire et se dire : pour une fois qu’un officier de haut rang défend la légalité, il faut s’en féliciter. Mais la situation est plus compliquée que cela.
En effet, de l’autre côté, le peuple, lui, -quand il y a plus de 15 millions de personnes dans les rues, on peut parler de peuple- ne veut plus entendre parler des acteurs majeurs du système dépravé moribond ; une revendication qui émane d’une conviction profonde et complètement assumée. C’est d’autant plus important pour les citoyens algériens que cette arrière-garde de l’ancien régime va présider au destin du pays pendant la phase de transition, marquée par des élections décisives pour l’avenir du pays.
Les symboles de la fraude aux postes clés
Or de facto, la position du chef d’état-major se traduit par la reconduction, non seulement de caciques du régime agonisant, mais de rescapés largement impliqués dans les fraudes électorales. À ce titre, si le rôle du chef d’État par intérim paraît symbolique, celui des autres responsables l’est moins. Noureddine Bédoui, actuelle Premier ministre était ministre de l’Intérieur de 2015 à 2019, période pendant laquelle les fraudes électorales s’étaient généralisées à une échelle jamais égalée. Chaque parcelle du territoire regorge d’anecdotes sur ces tricheries à ciel ouvert. Dans bien des cas, à l’occasion d’élections locales, les barbouzes du régime n’ont même pas pris la peine de tricher. Ils ont purement et simplement volé la victoire de candidats de l’opposition en procédant, d’autorité, à leur remplacement par des candidats de partis politiques proches du pouvoir. Les remplacements se faisaient sur instructions préfectorales. « Lorsqu’ils ont signifié au candidat du FLN de notre commune qu’il avait gagné l’élection, lui-même ne croyait, ni ses yeux, ni ses oreilles », relate un témoin d’une commune semi-rurale. M. Bédoui est l’une des figures qui illustrent le mieux la fraude électorale massive et généralisée. À ce titre, son maintien à la tête du gouvernement n’obéît ni à la morale, ni au bon sens.
On pourrait rétorquer que Noureddine Bédoui n’est plus ministre de l’Intérieur et de ce fait, ne gère plus directement, du moins, les élections. Problème, à ce poste, il a été remplacé par son ombre, Salah Eddine Rahmoune. Celui-ci fut chef de cabinet de Noureddine Bédoui de 2016 à 2017 puis secrétaire général du ministère de l’Intérieur de 2017 à 2019. À défaut d’avoir été complice de son chef pour toutes les irrégularités, il a, au moins, été consentant. De plus, selon plusieurs sources, Salah Eddine Rahmoune serait un proche parent de Saïd Bouteflika -une information qu’il faudra vérifier-.
Le piège tendu par Saïd Bouteflika
Il ne faut pas perdre de vue que ce gouvernement a officiellement été nommé par le président sortant, en réalité par son frère, Saïd Bouteflika qui agissait en véritable maire du palais, le 12 mars 2019. À cette date, après trois immenses week-ends de protestations, dans l’entourage du président, l’idée de la fin de l’ère Abdelaziz Bouteflika était définitivement acquise. Il fallait donc remédier à la situation en assurant les arrières du cercle. Dans sa composante et la logique de son fonctionnement, le gouvernement Bédoui est un cabinet dont la mission principale consiste à assurer les arrières de ce que les Algériens appellent la 3issaba (bande mafieuse).
Du point de vue des citoyens algériens –Et, c’est le bon sens populaire qui le dicte-, le gouvernement Bédoui est irrémédiablement disqualifié de la gestion de la phase de transition.
Convergence d’intérêts entre la 3issaba et les prédateurs étrangers
Quoi que l’on en dise, le général Ahmed Gaïd Salah a toujours suivi une ligne légaliste. Mais il n’y a pas que cela qui entre en ligne de compte pour expliquer sa position. Il fait aussi l’objet de pressions internationales sans communes mesures. Or dans ces pressions, il y a à boire et à manger. À tout seigneur tout honneur, il y d’abord les amis sincères de l’Algérie qui pensent que la sortie de la voie constitutionnelle est de nature à conduire à des situations hasardeuses, voire dangereuses. Mais, il y a aussi les autres. Ce deuxième groupe est très hétérogène, mais a des intérêts convergents. Cela va de régimes qui sont effrayés à l’idée que Salmia réussisse et devienne, par effet de contagion, une menace pour les fondements de leurs pouvoirs, à des milieux et des États qui redoutent que leurs intérêts, acquis illégitimement en Algérie, soient remis en cause.
Avec Abdelkader Bensalah à la présidence et Noureddine Bédoui au Gouvernement, ce groupe de prédateurs dispose désormais de canaux en Algérie qui vont accentuer les pressions sur Ahmed Gaïd Salah.
Il est clair, dans ces conditions, que la réalisation des revendications populaires allège les pressions sur l’Armée et son chef et renforce les liens entre celle-ci et le peuple. Pour répondre de façon satisfaisante à la demande citoyenne des Algériens, on n’est pas obligé d’être jusqu’au-boutiste. Il suffit de vider le plan Saïd Bouteflika de sa substance : Noureddine Bédoui et son ministre de l’Intérieur doivent démissionner et être remplacés par des personnalités intègres. Une telle mesure préserve la voie constitutionnelle et permet d’avoir des élections propres. Aucun Algérien ne mérite de mourir pour le maintien contreproductif de la garde arrière d’un régime corrompu et vomi par la population.
Dahmane SOUDANI
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