Ces matières hautement radiotoxiques ont été déversées à l’air libre, pendant plus de 40 ans, par l’entreprise française à capitaux publics, Orano, anciennement AREVA. Ce groupe avait un monopole sur l’uranium du Niger jusqu’en 2007, année qui a vu l’arrivée de l’industriel chinois CNNC, imposée par le président élu Mamadou Tanja. Les perspectives n’ont rien de rassurant.
Les analyses effectuées sur les résidus boueux extraits des mines d’uranium par le laboratoire de l’association française, Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD), montrent un niveau de radioactivité de 450 000 Becquerels (Bq ou unité de mesure d’activité nucléaire d’un corps) par kilogramme. Pour rappel la radioactivité naturelle à la surface du sol (hors granit) tourne autour de 40 à 1000 Bq par kg. La CRIIRADE travaille, en étroite collaboration avec l’ONG nigérienne AGHIRI’MAN, « Bouclier de l’âme », en langue locale, fondée en 2000 à Arlit.
Les 20 millions de tonnes de déchets proviennent d’un seul gisement
Bien évidemment, les premières victimes sont les habitants d’Arlit et d’Akouta (150 000 hab. essentiellement à Arlit) au Niger qui vivent principalement de l’activité minière et des économies induites. Ces populations ne sont pas en contact avec la radioactivité, uniquement dans les mines, mais aussi à domicile et dans les lieux publics. En effet, non seulement les vents puissants de la région y drainent des gaz et des particules contaminées, mais en grande partie, le bâti est construit avec des matériaux radioactifs.
À bien consulter les documents écrits et audiovisuels de la CRIIRAD, les 20 millions de tonnes de déchets radioactifs déversés à l’air libre ne proviennent que du gisement d’Akouta, fermé depuis le 31 mars 2021, jusqu’à cette date, exploité par la compagnie minière d’Akouta, Cominak, filiale d’Orano. Pas mal comme idée de donner aux filiales les noms de mines avec l’arrière-pensée d’une extinction la responsabilité juridique avec l’épuisement des ressources du site et de sa fermeture !
Le déversement, à l’air libre, de tels résidus libère en permanence un gaz radioactif, le radon à contamination par inhalation. Les matériaux lourds, également radioactifs, contenus dans les poussières fines sont dispersés dans l’environnement. À l’instar du radon, certains de ces matériaux lourds sont, eux aussi, radiotoxiques par inhalation.
Désastre sanitaire et écologique
La persistante sécheresse de l’air qui caractérise ces régions transforme rapidement les boues radioactives en poussières très volatiles ; ce qui aggrave ce véritable désastre sanitaire et écologique.
On ne sait pas sur quelle distance, par unité de temps, ces gaz et particules dangereux peuvent être déplacés. Cela dépend, sans doute, de plusieurs facteurs. Ce que l’on sait en revanche c’est que leur durée de vie se mesure en ères géologiques « Ces déchets radioactifs vont être là pendant des centaines de millions d’années », soutient, dans une vidéo relativement récente Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et directeur du laboratoire de la CRIIRAD.
« Ces déchets auraient dû être stockés sur un site qui garantit leur confinement à long terme », plaide Bruno Chareyron. Mais, plaisanterie de mauvais goût, « l’industriel envisage (…) de recouvrir ces terrils de 2 mètres d’argile et de roches afin de limiter les émanation radioactive »
Une radioactivité indéfiniment enfermée entre l’Air et le Hoggar ?
Cela dit, vers l’est le mouvement des poussières et gaz radioactifs pourrait être bloqué par la barrière naturelle que constitue la chaine montagneuse nigérienne de l’Air (entre 1900 et 2000 mètres d’altitude en fonction des endroits). On ne connait pas grand-chose sur la circulation des vents entre les massifs du Hoggar en Algérie et l’Air. Le scenario le plus catastrophique serait un mouvement de balancier qui enfermerait indéfiniment la radioactivité dans cet espace.
Au niveau d’In Guezzam (sud-est de l’Algérie), la distance entre la frontière algérienne et Arlit est d’environ 200 km. À vol d’oiseau, elle est à peine de 150 km. Située sur la pointe sud du massif de l’Air, la ville d’Agadez (125 000 hab.) au Niger n’est pas plus à l’abri.
Va-t-on vers 60 millions de tonnes de déchets radioactifs ?
À côté de la mine d’Akouta, celle d’Azelik, exploitée par le groupe chinois CNNC est également fermée depuis 2015. Nous ne disposons d’aucune information sur le traitement des déchets de ce site. Mais il existe encore quatre autres gisements l’un en activité (celui d’Arlit détenu à 64% par Orano) et 3 autres en projet Dasa (Global Atomic, Canada), Imouraren (Orano à 64%) et Madauéla (GoviEx, Canada). Tous ces sites se trouvent sur le versant ouest du massif de l’Air.
On estime que jusqu’en 2020, 152 113 tonnes d’uranium ont été produits sur dans même région du Niger, équivalant à 40 milliards de dollars. Rien qu’en 2021, la France a extrait du Niger 1996 tonnes d’uranium, soit le tiers de sa production mondiale. Cela dit, les prévisions d’exploitation des projets Imouraren, Dasa et Madauéla portent sur 286 680 tonnes supplémentaires, soit près du double. À lui seul le gisement d’Imouraren pourrait produire 217 000 tonnes. Le Niger qui aujourd’hui ne représente que 4,7% de la production mondiale d’uranium pourrait devenir un acteur majeur, d’où les enjeux stratégiques. En toute logique, par rapport au sujet qui nous intéresse, la question qui en découle est : va-t-on avoir 40 autres millions de tonnes de déchets radioactifs livrés aux aléas des capricieuses conditions climatiques locales et faisant peser des risques très sérieux sur les populations et l’environnement locaux ? Tout un chacun a bien conscience de ce que les vents de sable peuvent produire et de l’étendue des territoires qu’ils peuvent couvrir.
Pour rappel, en mai 2023, la livre d’uranium naturel (453 gr) achetée sur la base de contrats à long terme -c’est-à-dire le moins cher- a atteint le pic de coûtait 56 dollars.
22 000 m3 d’eau par jour pendant 40 ans et une nappe phréatique exsangue
Le procédé chimique utilisé, in-situ pour extraire ce qu’on appelle le « yellowcake » ou urania, une poudre de concentré d’uranium obtenue par lixiviation demande d’énormes quantités d’eau. Pendant plus de 40 ans, ORANO ex AREVA a utilisé 22 000 mètres cubes d’eau par jour. Au-delà de la pollution en surface, combiné aux boues radioactives ce traitement risque de contaminer les eaux sous-terraines. « Ces déchets entrainent une pollution des eaux souterraines qui se déplacent dans l’environnement et qui font peser une épée de Damoclès sur les ressources en eaux potables pour plus de 100 000 personnes de la région », explique Bruno Chareyron.
Selon plusieurs sources, ORANO auraient déjà utilisé 70% de la nappe phréatique. Inutile, dans ces conditions, de souligner que la baisse généralisée du niveau de l’eau accentue la désertification et la destruction de l’économie agricole et pastorale déjà mise à mal par les injonctions du FMI pour le bétail et de l’Union européenne pour les céréales.
Le Niger assure un tiers de l’électricité et 100% des besoins militaires français en uranium en se consumant.
C’est d’autant plus tragique que, selon le Réseau sortir du nucléaire, « Après 50 ans d’exploitation, le bilan est édifiant. Le Niger n’a récupéré qu’environ 12 % (NDLR. 5% selon d’autres sources) de la valeur de l’uranium produit et n’a jamais quitté le podium des trois pays les plus pauvres de la planète ». « L’uranium nigérien a pourtant contribué pour un tiers à la production d’électricité de la France, jouant un rôle non négligeable dans son développement économique et industriel. Et si la société Areva possède des mines dans d’autres pays, la France reste en revanche dépendante à 100 % de l’uranium du Niger pour son programme militaire », ajoute le Réseau (in Atlas de l’uranium).
L’Algérie porte encore les stigmates des essaies nucléaires à partir de février 1960 dans la région de Reggane (à 50 Km de l’actuelle ville de Hamoudia) et dans les cavités du Hoggar. Il est de son droit d’exiger, à l’avenir, un droit de regard et une transparence totale sur les risques de pollutions radioactives qui menacent sa population et son territoire.
De leur côté Arlit et le Niger n’ont pas besoin de chantage, de menaces, d’instabilité, d’agression, d’invasion et de destruction de la part de pays qu’ils ont engraissés en se consumant, mais de compréhension, de soutien et de réparation effectifs et vérifiables. Ce n’est pas par hasard que le nouveau pouvoir « souverainiste » bénéficie d’un soutien aussi important de la population du Niger. Aghiri’man !
Dahmane SOUDANI






Laisser un commentaire