Alors que les résultats ne sont pas encore officiellement déclarés dans deux États, Caroline du Nord et Géorgie, la situation post-électorale baigne dans une illisibilité pour le moins troublante.
Déclaré vainqueur, samedi dernier, le démocrate Joe Biden poursuit ses consultations en vue de constituer son équipe laquelle, si tout se passait bien, devrait être aux manettes dès le 21 janvier 2021, à partir de 0h. De son côté, Donald Trump, le président sortant ne reconnait toujours pas la victoire de son adversaire. Non seulement ses avocats engagent des procédures dans plusieurs États pour se plaindre de fraudes et d’irrégularités présumées, mais, depuis lundi, il a engagé d’importants changements à la tête du secrétariat à la Défense (l’équivalent du ministère de la Défense dans les autres pays) en y installant certains de ses fidèles.
Changement à la tête de la Défense
Le secrétaire à la Défense Mark Esper qui, en décembre 2018, avait remplacé James Mattis, démissionnaire, pour protester contre la décision du président de retirer les troupes américaines de Syrie, a été remercié lundi, deux jours seulement après l’annonce de la victoire du démocrate Joe Biden. Il fut aussitôt remplacé par Christopher Miller, connu pour sa loyauté envers Donald Trump. Jusqu’à cette date, celui-ci occupait le poste de directeur du Centre national contre-terroriste, mais il avait déjà, par le passé, occupé le poste de sous-secrétaire à la défense. Christopher Miller aura pour directeur de cabinet Kash Patel, un autre spécialiste de la lutte anti-terroriste.
L’éviction de Mark Esper fut suivie, dès mardi, par le départ de James Anderson, sous-secrétaire en charge de la politique de Défense, en poste depuis février 2020. Il a été remplacé par Anthony Tata, un autre loyaliste -envers Donald Trump s’entend-. Le même jour, le vice-amiral à la retraite, Joseph Kernan a quitté le poste de sous-secrétaire à la Défense en charge du renseignement. Il n’est pas clair, néanmoins s’il a démissionné ou s’il a été limogé. Il est remplacé Ezra Asa Cohen-Watnick, 34 ans, à peine, jusqu’à cette date secrétaire adjoint à la Défense pour les opérations spéciales et les conflits limités.
Kash Patel est dépeint par une partie de la presse américaine comme personne « controversée » et Anthony Tata, comme « complotiste ». Qu’à cela ne tienne !
Un alarmisme douteux
Nombre des médias américains, dont CNN, s’accordent, à présent, à dire que la prochaine victime de cette purge sera la directrice de la CIA Gina Haspel. Elle aurait, selon les alliés du président américain, mis sous le coude des documents qui « mettent en évidence les complots de l’États profond » contre la campagne de Donald et la transition, sous l’administration Obama qui a présidé aux destinées du pays jusqu’au 20 janvier 2017. Toujours, selon CNN Gina Haspel aurait refusé cette déclassification, au motif que ces documents mettraient en danger la sécurité nationale des États-Unis en révélant des méthodes et des sources cruciales ; ce qui laisse entendre que les affirmations de Donald Trump et de son entourage ne sont pas totalement démunis de fondements.
Très critiqué ces dernières semaines par les proches du président, Christopher Wray, le patron du FBI serait, lui aussi sur la sellette. Les alliés de Trump lui reprochent son incapacité de produire des informations qui, selon eux, « nuiraient aux ennemis politiques du président, y compris Biden », dixit CNN. Un alarmisme qui est loin d’être innocent !
Pour Pompeo, Trump va succéder à lui-même
Mardi, le secrétaire d’État, Mike Pompeo enfonce le clou. Non seulement il ne reconnait pas la victoire de Joe Biden, mais déclare : « il y aura une transition en douceur vers une deuxième administration Trump », en précisant, « Je suis convaincu que nous compterons, et nous devons compter, chaque vote légal. Nous devons nous assurer que tout vote illégal ne doit pas être compté. Cela dissout votre vote, s’il est mal effectué ». En 2000, il a fallu 37 jours de vérification et de procédure, après l’élection, pour que la cour suprême des États-Unis donne un coup d’arrêt au processus, en évoquant les délais imposés par la constitution.
À l’heure où nous mettions en ligne, Joe Biden comptait 290 grands électeurs et Donald Trump 217. Or, pour gagner cette élection, l’un des deux candidats devait s’allier 270 de ces délégués. Comme indiqué plus haut, en raison des vérifications, la Géorgie (16 grands élus) et la Caroline du Nord (15 grands élus) n’ont pas encore officiellement déclaré leurs résultats. Or, outre ces deux États, l’équipe de campagne de Donald Trump revendique la victoire en Arizona, Michigan, Pennsylvanie, Nevada et Wisconsin soit un cumul de 94 grands élus dont 63 sont déjà portés sur le bilan de Joe Biden. À l’exception du Nevada, tous ces États ont été gagnés, en 2016, par le président sortant.
Différence infime
Chacun des cinquante États -échelon d’organisation des élections- dispose de ses propres règles pour gérer les contestations. Alors que dans le Tennessee la loi ne dit rien sur les possibilités de recomptage, en Géorgie, par exemple, pour engager une telle opération, il suffit qu’il y ait une marge, entre le demandeur et le candidat qui le précède, égale ou inférieure 0,5% des suffrages exprimés. En Pennsylvanie à 0,5% ou moins, un nouveau décompte est automatiquement effectué… Pour l’heure, ce seuil est de 0,29% en Géorgie et de 0,80% en Pennsylvanie. Il est également de 0,39% dans l’Arizona. S’agissant des sept États où l’équipe de campagne de Trump revendique la victoire, cet indicateur se situe dans une fourchette allant de 0,29% en Géorgie à 2,69% dans le Michigan. Il est entièrement favorable à Joe Biden, sauf en Caroline du Nord.
Les différences de voix portées sur chacun des deux candidats sont parfois insignifiantes. Elles sont de 11 635 bulletins en Arizona pour 3 315 259 suffrages exprimés, de 53 958 voix pour un total de 6 727 480 votes en Pennsylvanie et de 14 045 suffrages pour un total de 4 929 865 en Géorgie. C’est, sans conteste accablant pour un candidat qui perd avec une marge aussi infime (1).
Rien à voir avec le litige Al Gore-Bush
Cela dit, ce n’est pas tant pour une vérification des suffrages par de nouveaux décomptes des voix, comme ce fut le cas entre Bush et Al Gore en 2 000 que l’équipe de Trump se bat, mais contre des fraudes présumées. Il reviendra donc à la justice de se prononcer sur la recevabilité ou l’irrecevabilité des requêtes des conseillers juridiques du président et éventuellement de les instruire.
Outre le fait que 6 des 7 États litigieux ont été gagnés par Donald Trump en 2016, cinq d’entre eux sont gouvernés par des démocrates et l’un des deux États républicains, l’Arizona pour ne pas le désigner, est le fief des McCainistes, l’opposition la plus farouche à Trump au sein du Parti républicain. Le ressentiment entre John McCaine, décédé le 25 août 2018, et Donald Trump était tel que le défunt sénateur de l’Arizona a dû signifier, ante-mortem, au locataire de la Maison-Blanche qu’il ne voulait de lui à ses funérailles. Héritier de John MacCaine, le gouverneur Doug Ducey a déjà changé de patronyme dans sa vie… !
La localisation des contestations se superpose donc à des différences politiques ; ce qui a pour effet d’aggraver les suspicions et les tensions. Ce feuilleton aux issues incertaines, va sans aucun doute trainer en longueur.
Dahmane SOUDANI
- Les données que nous livrons sont celles disponibles 12 novembre 2020 à 12h (heure de New York)

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