Sans que personne ne l’ait convié, le Parlement européen s’invite dans le processus en cours en Algérie.

aux Algériens (photo DS)
L’Union européenne a donc adopté une résolution sur « la situation des libertés en Algérie » dans laquelle elle « condamne vivement l’arrestation arbitraire et illégale, la détention, les intimidations et les attaques de journalistes, de syndicalistes, d’avocats, d’étudiants, de défenseurs des droits de l’homme et de la société civile ainsi que de tous les manifestants pacifiques qui participent aux manifestations pacifiques du Hirak ». Trop chère payée la facture algérienne, comparée à la résolution adoptée, il y a peu de temps, à l’encontre d’un pays faisant face à l’Algérie du côté de la rive nord de la méditerranée ! Cet État fort, né sous la bonne étoile, a été condamné du bout des lèvres, sans même être nommé, alors que sur son territoire, en l’espace de 9 mois, on a enregistré 800 signalements et autant de blessés, 24 éborgnés et 5 personnes amputées de la main, sans parler de l’usage d’armes létales et semi-létales, des enquêtes entièrement à charge des manifestants et des procédures de justice expéditives. Cette différence de traitement n’est pas anodine. Tant s’en faut !
L’Europe se fourvoie
Si en Algérie, les arrestations, les atteintes à la liberté de la presse et les offenses faites aux magistrats sont une réalité qu’on ne peut que dénoncer, sur le plan légal, cette sortie du Parlement européen est une violation pure et simple de l’accord d’association de 2002, ratifié en 2007. Dans son article 101, ce document contractuel dispose « Aucune disposition du présent accord n’empêche une partie contractante de prendre les mesures (…) qu’elle estime essentielles pour assurer sa sécurité en cas de troubles internes graves susceptibles de porter atteinte à la paix publique, en cas de guerre ou de grave tension internationale menaçant de déboucher sur un conflit armé ou afin de satisfaire à des obligations qu’elle a acceptées en vue d’assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationale. »
Outre le plan légal, l’initiative européenne piétine la légitimité issue du mouvement Hirak lui-même que ses rédacteurs prétendent soutenir. En effet, les Algériens ont toujours clamé sur la place publique que le processus en cours dans leur pays est, et restera une affaire de famille algéro-algérienne et qu’ils rejetaient toute ingérence étrangère quelle que soit sa nature. Une position de bon sens qui s’appuie sur les désastres provoqués par les Occidentaux en Irak, en Libye et en Syrie tout en mettant, toute honte bue, à l’index, par des triangulations grossières, les régimes en place. En Syrie, certains régimes européens n’ont pas hésité à aller jusqu’à s’improviser parrains du terrorisme en soutenant, tenez-vous bien des soi-disant « rebelles modérés », mais armée quand même, avec à l’appui, des déclarations officielles du genre « al-Nosra fait du bon boulot ». Oui, vous avez bien lu ! À chacune de leurs funestes entreprises les pays qui se sont auto-proclamés étalon en matière de démocratie se sont alliés aux régimes les plus rétrogrades du Monde arabe ; régimes qui, du reste, se situent aux antipodes des aspirations des Algériens et en principe des valeurs affichées par l’Occident – bien évidemment on nous sortira l’ineptie de la realpolitik qui n’est rien d’autre que la mise au placard de toute forme de conscience-. Cette alliance contre nature ne peut s’expliquer que par des intérêts inavoués parce qu’inavouables. Mais personne n’est dupe ! Il n’y a pas besoin de loupe ou de sortir de Harvard pour voir à qui profite le crime.
Propagande de guerre et proxénétisme politique
Outre son potentiel déjà exploité ou en voie de l’être, l’Algérie dispose de la quatrième réserve mondiale de gaz de schiste. Et les pétrolivores occidentaux ne rêvent qu’à s’en goinfrer quitte à faire du pays un immense dépotoir chimique et à condamner Ad vitam æternam la nappe phréatique saharienne ; un trésor qui doit, coûte que coûte, être protégé.
La situation chaotique dans laquelle sont plongées la Libye et la Syrie reste malgré tout plus que juteuse pour la grande finance et les grands groupes pétroliers qui sont derrière tous ces agissements ; faisant des politiques de certains pays, leurs exécutants de basses besognes. Total pompe sans modération aucune les hydrocarbures libyens et dernièrement, Donald Trump a déclaré que les États-Unis allaient garder le contrôle du pétrole syriens. C’est le seul résultat concret de l’intervention occidentale dans ces deux pays et des mulets de cette stratégie que sont les terroristes. Si les champions du progrès voulaient réellement la démocratie en Libye ça se serait déjà su et depuis fort longtemps ! Hélas ! ce ne fut que de la propagande de guerre !
La démocratie dans les pays qui ne rêvent qu’à la conquérir, se traduirait inévitablement par le contrôle des citoyens -par l’intermédiaire de leurs représentants légitimes- sur les ressources de ces pays et cela n’arrange pas les pétrolivores occidentaux et leurs supplétifs politiques. De ce fait, l’Union européenne est objectivement contre le Hirak. L’histoire contemporaine nous fournit, à ce propos, des exemples fort éloquents. Ceux qui prétendent agir pour la démocratie en Syrie devraient se poser la question : Qui, dans les années 1940 et 1950, a tenté de renverser le président et patriote syrien Choukri al-Kaouatli (1891-1967), pourtant élu démocratiquement ?
En tout cas, l’agenda actuel défendu par l’UE ne peut mieux se concrétiser que dans le chaos, sous les dictatures ou à l’ombre des monarchies absolutistes. Conscients que leur pouvoir n’est plus viable, ces régimes graissent la patte à des protecteurs peu scrupuleux. Ce n’est, ni plus, ni moins que du proxénétisme politique ! Dans son essence, le Hirak sonne le glas du régime sous perfusion politique générée par des alliances contre-nature ; une dynamique qui les terrasse en même temps que leurs protecteurs.
Agenda d’implosion et d’éclatement du pays
À bien examiner la résolution de l’Union européenne, la reprise de certaines revendications du Hirak comme la démocratie, la dénonciation des arrestations arbitraires, l’indépendance de la justice, la libération des détenus politiques… n’est qu’un paravent. De façon insidieuse, la résolution s’inscrit dans un agenda d’éclatement ou d’implosion du pays. À ce sujet, elle s’appesantit de façon fort suspecte sur les particularismes et les minorités religieuses en laissant entendre que toutes les minorités religieuses sont réprimées ; ce qui, à l’évidence, est une contre-vérité. Des problèmes se posent pour un courant religieux qui était très peu ou pas présent en Algérie, il est vrai. Sur les terres européennes, en revanche, outre la violence symbolique qu’ils subissent au quotidien, les musulmans rencontrent les pires difficultés pour se doter de lieux de culte et personne ne trouve matière à condamner. Cela dit, en Syrie, en Irak comme en Libye la prétendue défense des minorités fut l’un des alibis de l’intervention occidentale directe. Les Algériens, eux, considèrent toutes les diversités comme un chance et une richesse pour leur pays.
La résolution controversée du Parlement européen s’appuie sur l’article 2 de l’accord d’association de 2002 qui stipule « Le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’Homme, tels qu’énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’homme, inspire les politiques internes et internationales des parties et constitue un élément essentiel du présent accord. ». C’est la seule disposition relative à la démocratie et aux droits de l’homme de cet accord. Cet article n’avait en fait qu’une fonction d’affichage pour faire les poches aux Algériens avec la complicité du régime qui pour se maintenir se devait de graisser la patte. Car le texte en question est fondamentalement un accord économique et commercial complètement défavorable à l’Algérie. La réalité, c’est que ni l’Union européenne, ni le pouvoir algérien n’y croyaient vraiment. Ce braquage des Algériens, ne profite pour autant pas aux peuples européens -si au moins !-, mais à des cercles qui leur ont déjà siphonnés toutes leurs richesses au profit de la spéculation financière.
Black-out sur la corruption
En revanche la lutte contre le blanchiment d’argent et la coopération en matière de lutte contre corruption sont évoquées dans les articles 87 et 91 du même accord de façon beaucoup plus détaillée. Or pratiquement toutes les masses monétaires issues de la corruption et du blanchiment, sur le dos du contribuable algérien, ont atterri ou transité par l’Union européenne et la Suisse. Et sur ces deux points, qui reviennent régulièrement dans les manifestations des Algériens, le Parlement du Vieux Continent ne pipe mot. Par ailleurs, presque tous les truands du pouvoir algérien qui ont récemment quitté le navire, avaient acquis des biens en France sans que personne n’ait éprouvé le besoin de leur demander de justifier l’origine de leurs ressources et éventuellement de les restituer au trésor public algérien.
Enfin, aucun des thèmes sociétaux dont se délectent régulièrement les politiques européens, pour zapper le social, n’a trouvé place dans cette fameuse résolution. Il ne peut y avoir de sociétal durable que sous des conquêtes sociales structurelles.
Mettre le ver dans le fruit
La force du Hirak est susceptible d’être à l’origine d’un pouvoir démocratique, patriotique conduisant une gestion saine des ressources du pays et des deniers publics. Le temps presse, se disent les représentants des lobbies au Parlement européen. Il faut mettre le ver dans le fruit, sinon nous allons perdre le contrôle de ce pays et de ses richesses ; une tâche qui fut aisée sous l’ère de la corruption généralisée. La solution de remplacement, pourrait être celle des sociétés secrètes dont il faut, dès à présent, installer les têtes de ponts et les sanctuariser. Il suffit pour cela, de jeter un coup d’œil sur les propositions d’amendements.
L’Atlantiste et va-t-en-guerre Glucksmann
Cité par plusieurs médias pour son zèle à faire passer cette résolution dont il a rédigé la première mouture, l’eurodéputé français Raphaël Glucksmann est connu pour son soutien inconditionnel aux interventions militaires atlantistes. Avant la récente création de son parti Place publique, il était déjà membre du Cercle de l’Oratoire, un groupe de « réflexion » conservateur fondé au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 contre les tours du World Trade Center à New York. Le premier geste public de ce groupe fut de signer un texte de soutien à l’intervention anglo-américaine en Afghanistan, sous le titre « Cette guerre est la nôtre ». Le 15 février, le 4 mars et le 14 avril 2003, ce même cercle signe trois autres textes de soutien à l’invasion anglo-américaine de l’Irak. En 2008, le magazine Télérama présente les membres du Cercle de l’Oratoire comme « les plus inconditionnels soutiens intellectuels français de l’intervention américaine en Irak ». L’inconditionnalité n’est-elle pas la plus grave des trahisons, celle de sa propre conscience ? Si tant est, il en demeure. Le million de vies humaines irakiennes fauchées par cette invasion injuste furent cyniquement célébrées par ce cercle comme une conquête de la liberté.
Raphaël Glucksmann adopte également une attitude très agressive envers la Russie. En 2004, il devient le conseiller « officieux » du nouveau président de Géorgie Mikheil Saakachvili pour l’épauler dans le conflit face à la Russie à propos de l’Ossétie du Sud. Malheureusement pour lui, Moscou ne croit pas aux larmes… de crocodile. En 2008 dans les colonnes de Libération, il menace la Russie d’être « exclue du G8 et du Conseil de l’Europe »…
En 2009, il épousa Eka Zgouladze alors vice-ministre de l’Intérieur de Géorgie. Celle-ci obtiendra, par la suite, la nationalité ukrainienne et occupera le même poste dans ce pays. Mais en 2015, Raphaël Glucksmann se retrouve en concubinage avec la journaliste Léa Salamé.
Raphaël Glucksmann connait l’Algérie où pour compléter sa formation d’étudiant d’alors, il avait fait un stage de 7 mois au sein de la rédaction du quotidien algérien Le Soir d’Algérie.
En tant que tels, les boute-en-train de l’initiative européenne ne pèsent pas lourds. En revanche, les sphères qui les ont activés et inspirés le sont potentiellement. Et c’est de là que vient le danger. Il n’est d’ailleurs pas exclu que cette résolution soit coordonnée avec des coups d’éclat sur le terrain -rappelez-vous les snippers de Damas, sortis de nulle part- et ce d’autant que, ouvertement ou d’une façon rampante, une poignée d’Algériens a applaudi le document européen ; sans doute des résidus d’un passé vassaliques qui remontent à la surface ! Ces écervelés, perdent simplement de vue qu’en soutenant une stratégie qui les dépassent, leurs aspirations ne deviennent que les alibis d’un agenda qui n’est plus le leur.
Les turpitudes du pouvoir
Les lobbies européens sont-ils les seuls responsables de ce passage dangereux ? La réponse à cette question ne souffre d’aucune équivoque. Les turpitudes incongrues, stupides et inutiles du pouvoir Algérien en place sont les premiers éléments responsables de cette désastreuse déconvenue. Mais toutes les revendications portées par le Hirak resteront algéro-algériennes et nulle autre partie n’est ou ne sera conviée à la table des discussions. Après tout, en 1789, les Français ont réussi leur révolution dans une hostilité européenne totale. Pourquoi cela ne serait-il pas possible pour les Algériens ?
Cela dit, le jour où l’Europe cesse de faire passer les agendas de lobbies derrière un affichage grossier de principes, sa position pourra être prise en considération, mais d’égal à égal ; ce qui de facto donnera aux Algériens le droit de se prononcer sur les entorses faites aux droits de l’homme ; de toutes les femmes et de tous les hommes, sans exception, présents sur le sol du Vieux Continent.
Dahmane SOUDANI
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