Dans le livre II de sa gigantesque œuvre, titrée Les Histoires ou L’Enquête, Hérodote (-480 à -425) relate l’une des manipulations politiques les plus marquantes de la littérature en la matière.
Des déclinaisons de ce tour de passe-passe sont, hélas ! encore déployées aujourd’hui et finissent malheureusement par trouver preneurs ; une faune de gobe-mouches qui prolifère à mesure que les portiers du système s’ingénient à embuer le rétroviseur. « L’homme stupide, devant tout discours, demeure frappé d’effroi », dira, à ce propos, Héraclite d’Éphèse (-544 à -480) prédécesseur du Père de l’Histoire. Trêve de stigmatisation des gogos. Voici ce que relate l’auteur de L’Enquête :
Pour des raisons, selon toutes vraisemblances, obscures, après un règne de 25 ans sur l’Égypte, Apriès, fils de Psammis (1) et petit-fils de Nécos (2) décida, sans préparation aucune, de se lancer dans la conquête de la Cyrène (provinces cyrénaïques) nord-est de l’actuelle Libye. Mais l’expédition tourne au désastre. Défaite et désarçonnée, l’armée du pharaon se retourne contre lui, l’accusant d’avoir sciemment voulu la décimer. Apriès tente de rétablir l’ordre, mais rien n’y fait. Il décida alors d’envoyer un émissaire, en la personne d’Amasis (Ahmônis II), commandant de l’armée égyptienne pour tenter de ramener les insurgés à la raison. Mais sentant son heure arrivée, Amasis pactise avec les rebelles et dépose le pharaon.
« Respect et dévouement », à l’image du bidet
« Amasis prit le pouvoir. Mais les Égyptiens le méprisèrent et le tinrent pour un homme de peu, en raison de son origine plébéienne et de l‘obscurité de sa famille, mais il les gagna bientôt par son habileté, sans user de violence maladroite », relate Hérodote. Et l’enfant d’Halicarnasse -aujourd’hui Bodrum, sud-ouest de la Turquie- d’ajouter : « Il avait parmi ses trésors innombrables un bassin d’or dans lequel, lui-même et ses convives se lavaient les pieds à chacune des leurs réunions. Il le fit briser et de cet or, il fit faire l’image d’un dieu, qui fut érigée dans la ville à l’endroit le plus convenable. » « Les Égyptiens vinrent dès lors apporter leur hommage à cette statue » détaille l’historien. « Informé de l’attitude des citadins, Amasis réunit son peuple et lui révéla l’origine de la statue » poursuit Hérodote. « Elle provenait d’un bassin dont ils se servaient précédemment pour vomir, pour uriner et pour se laver les pieds -et maintenant, ils se prosternent devant lui ! Il lui était arrivé, leur dit-il, la même chose qu’à ce bassin : simple citoyen auparavant, il était à présent leur roi, et il attendait d’eux respect et dévouement. Voilà par quel précédé il sut se concilier les égyptiens et leur faire admettre son joug » professe Hérodote attribuant une partie de ces propos à Amasis.
Amasis régna sur l’Égypte pendant 40 ans. Mais à sa mort, le Perse Cambyse, fils de Cyrus le Grand, aidé par les Arabes, était aux portes de l’Égypte. Psamménite (Psammétique III), rejeton du souverain imposteur est battu par le Perse et l’armée égyptienne défaite. L’Égypte tombe dans l’escarcelle de Suze (alors capitale perse). À son tour, Cambyse s’autoproclame pharaon.
Quand on accède au pouvoir par la tromperie, on finit par ruiner son pays et faire subir à son peuple les pires humiliations. À méditer !
Dahmane SOUDANI
(1) Également connu sous le nom de Psammétique II.
(2) Également appelé Nékao II.
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