Le dossier « Les Dévoiements de la démocratie » est lancé. Pour alimenter cette tribune, chaque week-end, MaghNord publiera une analyse sur ce phénomène dévastateur qui touche tous les pays du monde. Aujourd’hui notre coup de projecteur concerne Citizens United, une mesure qui affecte sérieusement la démocratie américaine.
Aux Etats-Unis, l’intention d’interdire aux entreprises de financer les campagnes électorales remonte à 1905, année au cours de laquelle Theodore Roosevelt(1), alors président des Etats-Unis, défendit la nécessité d’une réforme visant interdire les dépenses engagées par entreprises à des fins d’influences politiques. Jalonné par plusieurs arrêts et mesures législatives, ce principe a plutôt bien fonctionné, jusqu’en 1976 année à partir de laquelle des remises en cause ont été progressivement adoptées –mesure Buckley V. Valeo-
Roosevelt désavoué…
En 2002, Bipartisan Campaign Reform Act a tenté de remettre les pendules à l’heure, mais par des décisions prises en 2007 et 2008, la Cour suprême des Etats-Unis a annulé des dispositions importantes de cette loi également appelée McCain-Feingold
Le 21 janvier 2010, contre l’avis du président Barack Obama, cette même Cour suprême a pris une décision, dite Citizens United, du nom de l’association ayant introduit la procédure, invalidant l’essentiel de la loi de 2002 et déclarant inconstitutionnelle toute restriction concernant les fonds engagés par les entreprises et les syndicats à des fins de communication politique. À titre posthume, Theodore Roosevelt est ainsi désavoué.
Cette décision donne lieu à des situations extrêmes comme celle que l’on connaît dans l’État de l’Ohio où dans le cadre des actuelles primaires américaines, Wayne M. Boich le PDG de Boich Companies –extraction de charbon- a signé un chèque d’un million de dollars –la contribution la plus élevée à ce jour- au profit du républicain John Kasich, gouverneur du même État et candidat à la candidature.
Régulièrement, le président Barack Obama et la juge libérale de la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg lancent des campagnes de communication contre l’arrêt Citizens United en vain. Le candidat Bernie Sanders va plus loin. Pour le sénateur du Vermont et candidat à la présidentielle américaine de 2016, cette mesure de la plus haute juridiction des Etats-Unis a légalisé la corruption des élus.
Après le décès de l’originaliste –partisan de la thèse selon laquelle la constitution doit être interprétée par rapport à l’état d’esprit qui prévalait au moment de sa rédaction- Antonin Scalla, le 13 février dernier, le président Obama a la possibilité d’introduire un nouvel équilibre par la nomination d’un juge plus libéral, mais les Républicains qui tiennent les deux chambres du Congrès, jurent de bloquer cette nomination jusqu’à l’élection d’un nouveau président, en novembre 2016, avec prise de fonctions début 2017. Ce qui de facto paralyserait l’institution pendant près d’une année.
… par les Charles X de la Cour suprême
En la matière, l’histoire nous a légué quelques références édifiantes. Nostalgique du stricte suffrage censitaire et des règnes absolutistes, Charles X, dernier souverain français de la lignée des Bourbon avait, en 1830, entre autres, réduit le corps électoral déjà restreint en favorisant le vote des gros propriétaires fonciers conservateurs (2) ; ce qui lui coûté son trône. Il s’est attiré la foudre de la bourgeoisie, mais aussi du courant romantique dont Victor Hugo était en passe de devenir le chef file, succédant ainsi à Chateaubriand. Pour autant, la Monarchie de Juillet n’a pas entièrement supprimé le système électoral hérité de Charles X.
Le suffrage censitaire s’oppose au suffrage universel. Dans cet ancien système électoral, seuls les citoyens disposant de moyens importants (exprimés par l’impôt et certaines taxes, le nombre de portes et fenêtres…) peuvent voter ou être électeurs et/ou être éligibles. L’objectif étant de favoriser le vote conservateur avec pour finalité ultime la mise en place de politiques conservatrices.
Il a fallu attendre 1848, pour qu’un pays, en l’occurrence la France, mette en place le suffrage universel lequel, du reste, demeurera masculin jusqu’en 1944. Force est de constater, cependant, qu’outre-Atlantique, Charles X a toujours des adeptes.
Détournement du suffrage universel
Avec Citizens United, formellement, le suffrage universel n’est pas remis en cause. Mais par un jeu d’influence, l’argent permet de déconnecter la décision politique prise par l’élu de la volonté des électeurs. Elle est dictée par ceux qui, financièrement ont rendu possible l’élection et pas par les attentes de ceux qui ont glissé leur bulletin dans l’urne. Le plus important n’est pas tant celui le vote, mais la nature de la décision prise.
Priorisation du fonctionnalisme sur le structuralisme, diront certains, mais concrètement, ce sont les riches, le 1% comme on les appelle outre-Atlantique, qui, dans ces conditions, font la décision politique. C’est un détournement en règle du suffrage universel qui a pour corollaire le retour par effraction du suffrage censitaire.
Dahmane Soudani
(1) À ne pas confondre avec Franklin Delano Roosevelt, président des États-Unis de 1933 à 1945.
(2) voir Les Cinq maudites Ordonnances.
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