Chercheurs muselés, coupes budgétaires suicidaires, travaux scientifiques censurés, les scientifiques canadiens intervenant dans le secteur public fédéral vivent sous une véritable juridiction d’exception, imposées par le gouvernement conservateur de Stephen Harper. Les affaires sur le compte d’enjeux environnementaux semblent animer cette démarche qui par ailleurs torpille l’un des joyaux de la recherche mondiale.
À l’appel de l’Institut professionnel de la fonction publique au Canada (IPFPC), l’un des syndicats canadiens les plus puissants -55 000 scientifiques et professionnels de la fonction publique-, plusieurs rassemblements et manifestations diverses sont organisés, aujourd’hui, à travers tout le pays, notamment à Montréal, Québec, Ottawa, et Vancouver. À la veille de la négociation d’une nouvelle convention collective les professionnels et leur syndicat veulent faire infléchir le rapport de forces et prendre à témoin l’opinion publique canadienne à 5 mois, jour pour jour, des prochaines élections fédérales.
Mais ce n’est pas une revendication classique que les représentants des 15 000 scientifiques du secteur public veulent inscrire prioritairement à l’ordre du jour. À situation exceptionnelle, revendication exceptionnelle. Ce sont les questions de liberté d’expression et d’intégrité de la recherche qui, aux yeux des scientifiques au fédéral doivent avoir la prééminence absolue.
Moins de scientifiques et plus de restrictions
Décor digne de l’universitas médiévale, les tours de vis successifs du gouvernement Harper ont atteint le point critique où les scientifiques sont empêchés de s’exprimer publiquement sur leurs recherches, interdits de collaborer avec leurs confrères étrangers et pour finir, certains de leurs travaux sont purement et simplement censurés.
Répondant hier aux journalistes de Radio Canada, Peter Bleyer, responsable de la communication à IPFPC expliquait : « C’est un problème à plusieurs volets, parce qu’il y a le bâillonnement qui est très sérieux et qui continue, malgré nos efforts et les efforts immédiats d’ouvrir un peu la fenêtre là-dessus. Mais ce n’est pas le seul problème auquel font fasse les scientifiques au fédéral. Il y a aussi le problème de coupures, assez importantes. Donc ces mêmes scientifiques se voient bâillonnés, en plus il y en a de moins en moins. Ils perdent des postes ; il y a un manque de recrutement. Il y a le besoin de prendre en main les tâches administratives, puisqu’il n’y a plus d’administrateurs. Alors d’un côté, il y a des coupures, de l’autre il y a le bâillonnement et d’un troisième côté, s’il peut y avoir un, c’est le manque d’accès aux opportunités de collaboration, (…) ici au pays, avec les autres scientifiques, mais aussi au niveau international »
Censure politique
Et Peter Bleyer d’ajouter : « On sait que 25%, pleinement un quart, des scientifiques au niveau fédéral disent avoir eu l’expérience où on leur a demandé de changer le contenu de leurs recherches pour des raisons non scientifiques. Et puis de ce nombre, à peu près la moitié disent que c’était de la part de personnes avec un travail politique. Alors, il y a vraiment l’ingérence directe, mais il y a aussi l’ingérence plus indirecte ; je dirais dans un contexte où il y a ce coup de froid généralisé sur le gouvernement fédéral. On voit comme un problème généralisé où les gens ne veulent plus avancer les dossiers ».
Selon l’interviewé, les dossiers qui subissent le plus de restrictions sont ceux relevant de l’environnement en général, plus particulièrement de la protection de animaux et des espèces, la pêche, le climat, la santé, les drogues et du domaine des produits pharmaceutiques.
Licenciement de masse
Selon les différents recoupements les coupes budgétaires devraient atteindre 2,6 milliards, d’ici une année et 7 500 postes seraient supprimés d’ici 2017.
Une enquête datant de 2013 montre que 90% des scientifiques ne se sentent pas libres de parler de leurs travaux aux médias et que 86% estiment que si leur ministère prenait une décision pouvant nuire à la santé ou à l’environnement et qu’ils décidaient d’en parler publiquement, ils seraient frappés de censure ou de représailles.
« C’est difficile à comprendre. On dirait que c’est simplement une question de contrôle. Ce serait compréhensible si vous parliez d’un sujet controversé. Les élus auraient alors bien raison de vouloir s’assurer qu’il n’y a pas de déclarations critiques à propos des politiques gouvernementales. Mais lorsqu’on impose le silence sur de simples faits, ça n’a aucun sens», livre aujourd’hui à Radio Canada, Steve Campana biologiste canadien et anciens scientifique du secteur public dont les travaux sur les requins sont mondialement connus.
Dénoncé par plus de 800 scientifiques de 32 pays
La situation est telle qu’en octobre 2014, à l’occasion de la semaine canadienne des sciences et des technologies, 815 scientifiques de 32 pays différents avaient rendu Premier ministre Harper, destinataire d’une lettre ouverte l’appelant à « supprimer au plus vite les restrictions et les barrières à la communication et à la collaboration scientifiques qui sont imposées aux scientifiques du gouvernement canadien ». Et les signataires de s’inquiéter : «Le leadership du Canada en matière de recherche fondamentale, d’environnement, de santé et d’autres domaines de la santé publique est en danger ». À titre d’exemple, cette pétition cite un éditorial du New York Times accusant le gouvernement canadien de museler les scientifiques pour empêcher la population de connaître les impacts environnementaux liés l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta.
En juillet 2012 déjà, les scientifiques avaient organisé, à Ottawa, un cortège pour dénoncer « la mort de la preuve scientifique ».
Dahmane Soudani
Avant, le marché était soumis à la loi. Maintenant, c’est le marché qui fait sa loi. Et l’enfumage pour nous le faire oublier fonctionne à plein tube.
https://lepourfendeur.wordpress.com/2015/05/18/de-la-dictee-a-la-dictature/