Victime d’une implacable politique coloniale d’anéantissement, le majestueux félin à la crinière sombre et généreuse a cessé de rugir sur les massifs de l’Atlas, à l’aube du XXe siècle. La panthère a, elle aussi, subi le même sort, sous l’effet d’un dispositif réglementaire, mis en place dès 1844 et marqué par un durcissement progressif.
Le lion d’Afrique du Nord est souvent désigné par les expressions de lion de l’Atlas, Panthera leo leo ou encore lion de Barbarie. Aujourd’hui, ce fauve légendaire a complètement disparu du paysage à l’état sauvage. Avant d’examiner les raisons de ce consternant évanouissement d’un genre plutôt rare, essayons, d’abord, en guise de requiem de faire connaissance avec ce félin légendaire.
Quel lion en Algérie ?
À l’âge adulte, le lion d’Afrique du Nord pèse, comme ses cousins subsahariens 190 à 240 kg pour les mâles -un véritable handicap pour la chasse- et 115 à 180 kg pour les femelles. Mais, à la différence des autres lions d’Afrique, le corps du lion de l’Atlas est orné d’une crinière, sombre, voire noire, beaucoup plus touffue qui le couvre jusqu’au nombril. Le volume de ce crin, sans doute lié aux rudes conditions climatiques, en zones montagneuses, en particulier l’hiver, et sa couleur donnent au fauve nord-africain, un aspect plus imposant, impressionnant même.
Il est vrai qu’avec un crin aussi abondant et aussi étendu, le lion de l’Atlas dégage une aura et une forme de majesté sources d’admiration et de fierté pour tous les Magrébins.
Après plus de 100 000 ans de présence en Afrique du Nord sa robe s’est différenciée de celle de son cousin subsaharien
Reste que, à moins de sombrer dans une mythologie nombriliste, la taille, le volume et la couleur de la crinière n’affectent pas la morphologie des individus de la population et ne sont donc pas des caractéristiques suffisantes pour établir une lignée, une espèce ou une sous-espèce distincte. Le patrimoine génétique mis en évidence, jusqu’à présent, caractérise la filiation, mais ne comporte aucun marqueur distinctif d’un groupe particulier. À ce propos, les classifications les plus actuelles ne retiennent que deux espèces de ce félin dans le monde : le lion d’Afrique et le lion d’Asie.
En Afrique du Nord, dans l’état des connaissances actuelles, les traces les plus anciennes -différentes des premières traces- de la présence du lion remontent à 100 000, voire 110 000 ans -fossiles de la grotte de Bizmoune, près d’Essaouira au Maroc- ; c’est-à-dire juste après l’avant-dernière période de glaciation, dite Riss -fin du pléistocène et sous la dernière partie de l’âge de la pierre- Faut-il rappeler, par ailleurs, que jusqu’à 10 000 ans avant le temps présent – fin de la dernière glaciation dite Würm de moins 120 000 à moins 10 000-, le Sahara était une zone humide et verdoyante ; ce qui permettait à ce félin et aux autres grands chats de se déplacer, sans difficulté, entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne.
Modèle de prédilection des sculpteurs, épargné par plusieurs invasions
De par son imposante allure, le lion d’Afrique du Nord est le modèle de prédilection de la plupart des peintres et sculpteurs du monde. Les fresques carthaginoises mettent en évidence une admiration sans limite des Phéniciens pour les fauves, les lions en particulier. Les Romains utilisaient les lions du Maghreb dans les amphithéâtres pour les combats de gladiateurs. Ce sont les Nord-Africains qui les auraient initiés au domptage des fauves.
Les fresques numides et romaines, mettent en relief la puissance et la force du lion ; ce qui témoigne d’une grande considération à l’endroit du félidé. En la matière, les Vandales (présence de 439 à 533), comme les Ottomans beaucoup plus tard ont adopté le comportement des populations autochtones, de vie en bonne intelligence avec les félins. Pour les Orientaux arrivés aux Maghreb avec l’expansion de l’Islam, le lion était symbole de puissance, de courage et de majesté. Mais aucune de ces occupations n’a cherché à exterminer les félins de l’Atlas.
À noter également que les lions, autrefois conservés dans la Ménagerie anglaise, -parc zoologique- dès le début du 13e siècle, à la Tour de Londres -dont la construction remonte à 1066, année de la victoire des troupes de Guillaume le Conquérant sur le roi d’Angleterre Harold Godwinson, à Hastings- étaient originaires d’Afrique du Nord.
Chez les autochtones, entre autres, certains groupes tribaux du Constantinois, comme les Ouled-Meloul chez les H’ractah -établis au pied de Sid-Reghis-, les Ouled-Saci chez les Segnia – plaine de Kercha et crêtes du Guerioun- et les Chegatma près de Aïn El-Beïda, sont réputés chacun à sa manière, pour la chasse au lion. Mais ils n’ont jamais pratiqué cette activité dans le but d’exterminer le fauve. Ils ne tiraient pas, non plus, sur l’animal en restant à l’affût hors d’atteinte. Ils prenaient des risques réels en défiant l’animal au plus près. Leur trophée n’était pas le nombre de fauves tués, mais la manière dont ils exécutaient la mise à mort et leur proximité des griffes et de la mâchoire du grand chat ; ce qui n’est pas sans rappeler les rites de passage dans certaines communautés africaines. En tout cas, dans la façon de faire de ces fractions tribales, il y avait quelque chose de noble et de chevaleresque.
Pour avoir trahi ce serment de coexistence harmonieuse avec les fauves, le fameux Soukahrassi, Ben-Amar a vu sa carrière de chasseur achevée par une courageuse lionne avec comme seule consolation les 40 francs de prime qu’il reçut du « bureau arabe », et qui « suffirent à peine à payer ses médicaments», notera Charles Plémeur dans son livre Le Lion désappointé.
Impressionnant, mais fragile, une fois isolé
Côté mode de vie, le lion est le plus social des grands chats. Il vit en meutes, clans ou troupes, allant de quatre à une trentaine d’individus. Les mâles n’étant pas toujours présents, ce sont les femelles qui constituent le noyau de la société. C’est également principalement la lionne qui s’occupe de la chasse, même si lors de la mise à mort, c’est très souvent le lion qui donne le coup de grâce, avant régner en maître absolu sur le festin qui en résultera. En général seul un tiers des proies traquées est capturé. En moyenne, un lion consomme 2 500kg de viande par an.
Les lionceaux naissent après 110 jours de gestation -environ 3 mois et demi-. La portée peut compter jusqu’à 7 nouveau-nés, mais la moyenne est de 2,5. Nés à n’importe quelle période de l’année, les lionceaux restent avec leur mère pendant 18 mois.
Chez les petits, la mortalité est élevée en raison du braconnage, de la famine, de l’abandon, des attaques des autres prédateurs et des lions étrangers au groupe. Seulement la moitié des lionceaux survivent la première année. C’est dire que malgré l’aspect impressionnant de ces félins, les chaînes alimentaire et de reproduction restent très fragiles et la moindre perturbation de celles-ci peut s’avérer fatale pour toute la famille. Même un lion mâle, à l’âge adulte, une fois isolé devient très fragile.
Cela dit, bien suivi, en captivité, un lion peut vivre 25 ans, mais dans la nature son espérance de vie est réduite de moitié.
Bugeaud légalise l’extermination
En Algérie, la plus grande réserve de ces félins en Afrique du Nord, jusqu’au début du XIXe, La disparition des lions et des panthères est l’une des conséquences directes et tragiques de la colonisation de ce pays par la France à partir de 1830. Un dispositif d’élimination systématique du lion et de la panthère a été mis en place pendant plusieurs décennies, en réponse à la demande, pour le moins gâteuse, mais ô combien ! prédatrice, des colons.
C’est très tôt, au début de la colonisation, sous le tristement célèbre Thomas-Robert Bugeaud, alors gouverneur général d’Algérie du 22 février 1841 au 27 septembre 1847, que des primes pour « la destruction d’animaux féroces ou malfaisants » avaient été fixées et attribuées. Cette mesure avait fait l’objet de la décision prise par ce partisan de « la terre brulée » et initiateur de la juridiction d’exception dite Code de l’Indigénat[1], le 22 mars 1844, à peine 14 ans après la chute d’Alger. Mais de fait, le massacre des lions et des panthères avait débuté bien avant, dès les premières heures de l’occupation de l’Algérie. Par « animaux féroces ou malfaisants », il faut entendre toutes les bêtes qui pourraient effrayer les petites natures de colons aux débordement émotionnels excessifs et fraîchement débarqués de l’Hexagone ou d’autres pays d’Europe ou qui pourraient nuire à leurs projets d’exploitation des terres qu’ils venaient d’usurper. En clair, les panthères, hyènes, chacals et surtout les lions.
À partir de juin 1847, toujours sous le règne du maréchal Bugeaud, les autorités coloniales parlent « d’animaux nuisibles ». Une évolution sémantique qui ne doit rien au hasard. Avec ce passage de la frayeur (appréhension immédiate) à l’utilité (dimension pratique articulé autour de l’intérêt), le pouvoir colonial structure durablement l’élimination de ces animaux qui ont peuplé, comme nous l’avons vu plus haut, les territoires du Maghreb, depuis des dizaines de milliers d’années et qui ont laissé une empreinte inaltérable dans la culture et les traditions locales (toponymie, légende, proverbe, adage, aweqqas l’un des noms tamazighs du lion est toujours utilisé comme nom propre chez les Touaregs…). L’occupant leur impose une machine d’éradication effroyable. En Algérie, l’élimination de ces bêtes sur les territoires dits « mixtes » et « arabes », était, jusqu’à cette date, rémunérées sur des fonds secrets ; un véritable braconnage mortifère !
Une extermination diligentée au plus haut sommet de l’État
À partir de l’été 1847, les primes de destruction seront, à l’instar des territoires dits « civils » rétribuées sur « les crédits spécialement ouverts à cet effet au budget local et municipal (aujourd’hui départemental) ». En dépit de son caractère dévastateur et injustifié, cette décision a pour avantage de permettre, à travers l’exploitation des archives financières, de connaitre le nombre d’animaux tués.
Les primes arrêtées par Bugeaud ont été révisées par un arrêté ministériel, portant fixation des primes du 13 octobre 1852, comme suit :
- Lion ou lionne : 40 francs ;
- Lionceau d’un à six mois : 15 francs ;
- Panthère : 40 francs ;
- Jeune panthère d’un à six mois : 15 francs ;
- Hyène : 5 francs ;
- Jeune hyène d’un à six mois : 1,5 franc ;
- Chacal de tout âge : 1,5 franc.
Le même texte stipule que « Les animaux détruits resteront la propriété du chasseur » ; un nouveau cran d’incitation à l’anéantissement qui n’est pas des moindres. Assurant la couverture du déplacement, en Algérie, d’une vingtaine de parlementaires français durant le bimestre en septembre-octobre 1879 Paul Bourde, alors journaliste au Moniteur Universel, rapporte qu’à l’exposition agricole d’Annaba (ex. Bône), « Une salle était remplie de peaux apprêtées, parmi lesquelles se trouvaient trois superbes peaux de lions. Une peau de lion ordinaire est cotée 1 500 francs ; une peau de lion à crinière noire, étant beaucoup plus rare, est estimée 2 000 francs. Une belle peau de panthère a encore son prix. Bien qu’elle soit beaucoup plus commune et beaucoup moins grande que celle du lion, on en demande de 300 à 400 francs ».
En Algérie, à côté du lion noir (el adrea, en Arabe), plusieurs témoignages, qu’il convient de creuser ; font état l’existence du lion fauve (al asfar) et du lions gris (ez zarzouri) ; peut-être les femelles et les jeunes lions !
Qu’à cela ne tienne ! Comme on peut le constater la peau d’un lion à crinière noire correspond à 50 fois le montant de la prime de son abattage.
Ainsi, un mois avant que Napoléon III, auteur du coup d’État du 1er au 2 décembre 1851 ne redore son blason de la « dignité impériale », en novembre 1852, l’extermination d’une partie de la faune d’Algérie est actée et diligentée au plus haut sommet de l’État français.
Le jeu de massacre se poursuit sous les lambris de la République
Le régime qui succède à l’Empire, ne donne aucun répit aux fauves d’Algérie. Par arrêté du préfet d’Alger du 6 mars 1873, sous la IIIe République, les primes de destruction de chacals et de hyènes sont supprimées, puis rétablies par décision réglementaire de la même administration, le 7 mai 1874. Mais à l’endroit du lion et de la panthère, l’excroissance de la République française en Algérie n’est pas plus tendre que l’Empire de Napoléon. Tant s’en faut ! Ce deuxième arrêté fait passer la prime de destruction des lions et des panthère de 40 à 60 francs. En 1876, les primes d’abattage des animaux dits « dangereux et nuisibles » ont fait l’objet de dotations prévisionnelles intégrées aux budgets départementaux à hauteur de 3 000 francs pour Alger, 3 000 francs pour Constantine et de 800 francs pour Oran. La répartition de ces fonds montre que les animaux ciblés restent plus implantés au centre et à l’est de l’Algérie où le relief est plus accidenté et les forêts plus denses.
Par circulaire du 6 décembre 1880, le préfet d’Alger supprime, de nouveau, la prime pour destruction de chacals à partir du 1er janvier 1881. Les primes allouées pour l’abattage des lions, panthères et de hyènes sont maintenues par ce même texte.
Rien que pour l’année 1880, ce sinistre programme d’extinction, planifiée et organisée, d’espèces, sous les ors de la République, a permis d’éliminer 3 169 animaux dont 1 711 dans le département d’Alger, 1 018 dans le département d’Oran et 440 dans le département de Constantine. À cette date, les bêtes traquées sont toujours désignées comme « animaux dangereux et nuisibles ». Au cours de la même année, les victimes de ce jeu de massacre furent 16 lions, 112 panthères, 141 hyènes, et 2 900 chacals. Véritable moisson de la honte, le montant des primes distribuées en conséquence s’élevait à 8 208 francs[2].
La « civilisation » au secours d’un braconnage institutionnalisé
Rien qu’à Souk-Ahras (est de l’Algérie) et ses environs, le Dr Paul Rouquette signale, de son côté, qu’au moins 17 lions et 37 panthères ont été tués, en cinq ans, entre 1877 et 1892 dans le cadre de ce saccage de la faune algérienne. Le constat du Dr Rouquette est quelque peu étayé par le récit d’un colon à l’adresse de la délégation parlementaire en tournée en Algérie en septembre/octobre 1879, lors de son déplacement, en train, entre Annaba et Constantine, récit relaté en ces termes, par le journaliste Paul Bourde : « Le même colon nous raconta encore que jadis les mauvaises rencontres étaient si fréquentes dans le pays, que le courrier de Bône à Guelma avait pris l’habitude d’attacher derrière sa voiture un vieil âne ou un vieux cheval qu’il abandonnait sur la route si les lions le pressaient trop (…) Aujourd’hui le chemin de fer a remplacé l’antique courrier et le lion a disparu devant la civilisation. Il s’est retiré dans les forêts peu fréquentées des environs de Souk-Ahras et de Tébessa où on en tue encore une vingtaine chaque année. Mais avant longtemps on n’en trouvera plus, il sera devenu un animal fossile pour l’Algérie. »
En voici une civilisation qui ressemble bien à une effroyable chevauchée sanglante.
Le lion de l’Atlas ne verra pas le XXe siècle
Aujourd’hui, on peut dire, sans risque d’erreur, qu’à l’aube du XXe, ce saccage immonde a conduit à l’extinction du lion et de la panthère en Algérie et dans toute l’Afrique du Nord. Depuis, il y a eu plusieurs témoignages de rencontres avec des lions jusqu’en 1956, mais on ne dispose de preuves vérifiables que pour trois d’entre eux :
- 1893, un lion a été pris en photo dans les environs de Biskra ;
- 1925, un deuxième lion se déplaçant dans un genre de canyon, a également été pris en photo, par Marcelin Flandrin, depuis un avion assurant la liaison Casablanca-Dakar ;
- 1942, un lion a été abattu sur le versant nord de Tizi N’Tichkain (partie marocaine des monts Atlas).
Pour célébrer la mémoire de l’auguste félin, l’Algérie a édité, en 2016, un timbre-poste à son effigie.
Cette dévastation faunique est accompagnée d’une propagande au ras des pâquerettes qui d’une part vise à exagérer la férocité des lions pour justifier leur extermination et d’autre part tend à faire croire que l’élimination des fauves répondait à une attente des populations autochtones terrorisées qu’elles étaient par les félins pour obtenir une adhésion édulcorée au syndrome de Stockholm.
Dommage que ces protecteurs d’un genre particulier n’aient pas été sur place depuis 100 000 ans. L’Histoire a montré de quel côté se trouve la férocité sans limite.
Aujourd’hui encore, l’exposition dédiée aux félins et qui animera les cimaises du Muséum d’histoire naturelle (Paris) jusqu’au 7 janvier 2024, diffuse en boucle un court-métrage sous le titre de « Félins : des prédateurs en danger ». Parmi les menaces qui ont pesé ou pèsent encore sur ces félidés, ce document audio-visuel cite : la déforestation, la pollution, la transmission de maladies mortelles par les animaux domestiques, la destruction des milieux humides, les routes, le réchauffement climatique et, tenez-vous bien, la chasse pour médecine traditionnelle chinoise.
Ignorance ou mauvaise foi, on ne sait vraiment pas s’il faut en rire ou pleurer !
Les symboles de ce massacre
Les figures qui symbolisent le mieux ces massacres s’appellent :
- Charles Bombonnel (1816-1890) : chasse de panthères à la chèvre, 33 panthères tuées. Il fut gravement blessé par une panthère ; une des rues de Dijon, sa ville natale, porte toujours son nom.
- Jacques Chassaing (1821-1871), chasseur de fauves.
- Jules Gérard dit « Le Tueur de lions » (1817-1864). Enrôlé en 1842 dans le 3e régiment de spahis stationné à Annaba (ex. Bône), il termine sa carrière avec le grade de capitaine. En 1857, son bilan est de 26 fauves tués ; un triste record qui lui a valu la reconnaissance de plusieurs personnalités européennes dont celle de l’empereur d’Autriche. En 1854, il publie un ouvrage sous le titre de La Chasse au lion. Jules Gérard a servi de modèle à Alphonse Daudet pour Tartarin de Tarascon.
- Eugène Pertuiset (1833-1909). Voyageur, écrivain et peintre français, mais également chasseur, Charles Pertuiset a chassé les fauves en Afrique, mais il n’est pas clair s’il avait sévi en Algérie. Ami d’Édouard Manet, il a servi de modèle, en 1881 à l’une des toiles du peintre, Eugène Pertuiset, un chasseur de lions.
Dans ce décor pour le moins affligeant, le romantisme d’Eugène Delacroix, célébrant dans ses toiles, la chasse au lion en Afrique du Nord, a quelque chose d’abject et de consternant.
Une petite centaine de félins toujours en captivité
Aujourd’hui, on considère qu’à l’état sauvage, le lion d’Afrique du Nord a totalement disparu. Quelques spécimens, 90 environs, subsistent néanmoins en captivité dans des parcs zoologiques comme ceux de Rabat (Maroc), Port Lympne Wild Animal Park (Royaume-Uni), Madrid (Espagne), Parc zoologique des Sables-d’Olonne, Parc de Paris (France)…
Amputer, d’une façon aussi radicale et aussi cruelle, le patrimoine faunique d’un pays d’une de ses composantes séculaires, sans se poser la moindre question, est déjà une entreprise gravissime. Mais la prédation coloniale n’est jamais assouvie. Comme toujours dans ce genre de situations, il faut un signifiant vide, passe-partout pourrait-on dire, en guise de motif. À l’époque la justification idoine était « la civilisation ». « Aujourd’hui le chemin de fer a remplacé l’antique courrier et le lion a disparu devant la civilisation », s’épanche Paul Bourde dans son ouvrage dédié à la tournée, citée plus haut, des parlementaires français en Algérie (septembre/octobre 1879).
Son rugissement ne fera plus vibrer les forêts
Malheureusement, il n’y a pas qu’aux fauves qu’on a voulu réserver un tel sort. Le broyage colonial affecte également les Hommes. « Notre siècle assiste à une nouvelle distribution des races sur le globe. Les races européennes s’emparent du monde ; dans les régions où elles peuvent vivre et se reproduire, elles se substituent aux races indigènes pour exploiter les richesses du sol (…). Les races supérieures ont le droit de demander aux races moins avancées compte des richesses qu’elles laissent improductives entre leurs mains », clamait à qui voulait l’entendre le même journaliste à la conscience décidément trop indulgente.
Sur les massifs de l’Atlas, les monts de l’Edough, de Chélia, du Djurjura, du Dahra et de l’Ouarsenis, le fameux félin à la crinière prolifique et dont les rugissements faisaient, jadis, trembler les plaines et les montagnes s’est tu…définitivement tu ! Il a simplement été froidement rayé du paysage d’Afrique du Nord, faisant place à un monstrueux déséquilibre au sein du règne animal local, en particulier la prolifération de sangliers, de chacals…, ravageuse pour le cheptel et les récoltes.
On voit d’ici, la question simpliste qui ne fait qu’ajouter au cynisme, consistant à interpeler : Voulez-vous réintroduire le lion aujourd’hui ?
Dahmane SOUDANI
[1] Cette juridiction d’exception trouve ses fondement dans l’article 109 de la constitution de la IIe République qui édicte « Le territoire de l’Algérie et des colonies est déclaré territoire français, et sera régi par des lois particulières jusqu’à ce qu’une loi spéciale les place sous le régime de la présente Constitution.
[2] Législation de l’Algérie, E Sautayra, éd. Maisonneuve et Cie -Librairies Éditeurs, Paris 1884.
| Où ont été aperçus les derniers lions ? – 1956 : Dernier témoignage sur un lion aperçu près de Beni Ourtilane (nord de Sétif) ; – 1955 : Un vieux lion aurait été aperçu sur le versant sud des monts de l’Édough à l’ouest de Oued Zied, au nord du lieu-dit Aïn Dalia entre les points dits El Âssa et Draa Labiod. ( Wilaya d’Annaba). Témoignage recueilli par nos propres soins ; – 1942 : Un lion abattu sur le versant nord de Tizi N’Tichkain (partie marocaine des monts Atlas) ; – 1925 : Marcelin Flandrin (1889-1957), un photographe français, spécialisée dans les prises-vues aériennes, natif d’Annaba (ex. Bône) a pu immortaliser, depuis un vol Casablanca-Dakar, la scène d’un lion de l’Atlas se déplaçant dans une sorte de canyon ; – 1893 : Environs de Biskra (preuve photographique) ; – 1891 : Souk Ahras (Algérie), témoignage du Dr Paul Rouquette – 1891 : Khroumire Nord-Ouest de la Tunisie – 1890 : en Tunisie (lieu non précisé) ; – 1890 : Région proche d’Annaba (lieu non précisé) ; – 1884. Mont Chelia Aurès, Algérie ; Il n’est pas exclu qu’en petits groupes, de rares lions aient survécu, dans des endroits reculés, en Algérie, au Maroc ou en Tunisie jusqu’au début des années 1960, mais il n’en existe aucune preuve tangible. |












merci
Les colons ont exterminé le lion de barbarie sans se douter qu’un jour c’est eux mêmes qui seront exterminés.