Dans le Guatemala profond, une petite équipe de professionnels se bât au quotidien, avec humilité et détermination, pour prévenir, soigner, éduquer et instruire une population démunie et fragilisée par des conditions difficiles.
Chaque matin, une soixantaine d’enfants, issus de la trentaine de familles de la

Un régal matinal pour les bambins (photo Dahmane Soudani)
plantation, mais aussi des cités de Patulul et de San Miguel Pochuta, âgés de 9 ans et moins, convergent vers ce lieu de compassion et de réconfort. Ils viennent y prendre leur petit-déjeuner ; un premier repas matinal copieux et varié. Plus qu’une aubaine ces instants sont un vrai bonheur partagé tant il était inespéré pour ces petits bambins aux gros yeux noirs de se débarrasser d’une malnutrition qui leur a toujours collé au placenta et à la peau. Même dans l’antre de leurs mères, ils ne recevait

Un plein matinal d’énergie pour les marmots (photo Dahmane Soudani)
pas assez de substances tant celles-ci étaient elles-mêmes sous-alimentées.
Ce régal matinal est peut-être le seul vrai repas de la journée ou presque que ces enfants peuvent se dégoter tant les parents qui travaillent et vivent dans la plantation (finca), pour des revenus dérisoires n’ont pratiquement rien à leur offrir. Les salaires sont bas et lorsque le marché marque des replis, ils ne sont pas payés pendant des semaines sans aucune garantie de rappel.
« Vous allez voir le Guatemala vraiment marginalisé »
Cette convergence quotidienne des enfants se passe dans la commune de San Miguel

le regard de tous les espoirs (photo Dahmane Soudani)
Pochuta, dans le département de Chimaltenango au sud-ouest du Guatemala. Le lieu d’accueil est le CERNE, une structure, située le long de la route reliant le chef-lieu de la commune et Patulul dans le département voisin de Suchitepequez. Le CERNE est l’émanation d’une association à but non lucratif.
Vous l’avez bien compris, le desayuno offert aux enfants de la région fait partie d’un programme alimentaire de lutte contre la malnutrition.
Et ce n’est pas le seul objectif du CERNE. Loin s’en faut ! L’association qui le porte s’est donnée pour mission de fournir un soutien direct aux populations démunies en agissant

Un moment d’insouciance (photo Dahmane Soudani)
sur les leviers santé et éduction en appui aux actions des institutions locales et régionales ; un vaste programme au regard des besoins importants de la population locale mal nourrie et en difficulté d’accès au soins.
Lors d’une halte à Chimaltenango, la capitale du département, située entre Guatemala city et le CERNE, le Dr Hugo Ico nous avait déjà averti « Demain, vous allez voir le Guatemala vraiment marginalisé ». Il ne s’y était pas trompé.
Le sida en tête des pathologies
Le site d’accueil a été fondé en 1989 par Sœur María Mejia Xon, une religieuse franciscaine, sur un terrain cédé par la finca Florencia à l’Église. La religieuse voulait en faire un centre

Cet enfant est l’expression du Guatemala marginalisé (photo Dahmane Soudani)
rural de soins. En 2008, après la perte de certains des soutiens, une association s’est fondée autour du CERNE en lui assignant de nouveaux objectifs. Depuis, les activités des cette structure devenue polyvalente sont aidées quasi-exclusivement par l’Église catholique Hope, basée en Irlande et en Allemagne.
Face à ces énormes défis, le CERNE se compose d’une modeste équipe de quatre salariés dirigée par le Dr Edwin Rojas secondé par Maria Pilar

Dona Pilli aide une mère à nourrir son enfant (photo Dahmane Soudani)
Ramirez, infirmière et sage-femme, affectueusement appelée par les enfants Dona Pilli.
Au sein de la population vivant dans la plantation, la pathologie la plus répandue est le VIH (sida). Viennent ensuite les problèmes respiratoires, les diarrhées, les gastrites, le diabète et les problèmes rénaux liés à la présence des produits chimiques dans les champs et le manque d’eau potable nécessaire à leur évacuation. Autant que le Dr Edwin Rojas a du pain sur la planche. La consultation, le diagnostic et les soins sont pris en charge par le CERNE et l’Église, mais dans la mesure de leurs moyens, les patients sont sollicités pour l’acquisition des médicaments. Il arrive également que lorsqu’il n’y a pas de solution, les quatre salariés contribuent à régler la facture. Dans un monde de désespoir, la générosité est le seul soleil qui parvient à réchauffer les âmes. Pour réduire les coûts de déplacement supportés par les patients, parfois, le Dr Rojas et Dona Pilli vont vers les malades, en parcourant jusqu’à de 20 km de distance. Le CERNE a un besoin urgent de recruter un pharmacien et un agent d’entretien, mais les moyens manque cruellement.
Les besoins à couvrir restent importants. En participant chaque année à la rénovation et à la décoration des bâtiments, les étudiant de l’université de Sacred Heart à Fairfield dans le Connecticut (USA) donnent l’exemple.
De jeunes mamans accablées et résignées
Au CERNE, le travail d’éducation représente l’un des volets les plus importants. Il couvre aussi bien l’enseignement scolaire que l’éducation de mamans, souvent très jeunes, quant à la manière de nourrir leurs enfants tant en calories qu’en affection, en passant par la façon dont il faut s’y prendre pour suivre un traitement. À côté de l’école de la plantation, le CERNE abrite également une école fréquentée par 16 enfants en maternel et 30 élèves en 4e, 5e et 6e années élémentaires et dont l’enseignante est rémunérée par les parents.
Une vingtaine de patients atteints de sida se rendent régulièrement aux séances de suivi

Le Dr Edwin Rojas à pied d’oeuvre (photo Dahmane Soudani)
qui se tiennent au CERNE. « Souvent la contagion passe par le mari », souligne Dona Pilli avant d’ajouter : « Je leur dis de boire de l’eau pure jusqu’à 8 verres par jour, éviter l’eau impure, respirer profondément, pas d’alcool, pas de Coca-cola, du repos, et une bonne alimentation. Je leur dit également d’éviter les raisins, le café, les choses grasses, le sucre, le chocolat, les piments, ne pas fumer et plus important que tout : avoir la foi » Totalement impliquée de le programme et débordante de générosité, Dona Pilli n’est pas du genre à se tenir à l’écart des patients atteints de VIH comme s’ils étaient des pestiférés. Lors des séances de suivi, la bise est souvent de mise.
Au moment de notre passage, une jeune mère de 24 ans était en séjour au CERNE pour apprendre comment nourrir son enfant. Visiblement sous-alimenté cet enfant est

Dona Pilli: une grande proximité avec les patients (photo Dahmane Soudani)
rachitique et sa peau recouverte de lésions. Durant les premières heures, il avait du mal à avaler. Puis, aidé par Dona Pilli, la jeune maman a réussi progressivement à lui redonner l’envie de manger.
Face à la difficulté de la vie, les jeunes mères sont souvent écrasées par le poids des problèmes et le nombre d’enfants mais aussi le regard impitoyable de la société. À la finca, leur revenu ne dépasse guerre les 50 à 60% de celui des hommes qui n’excède guère les 15 dollars par mois. Sous ce véritable ciel d’airain, les jeunes femmes développent un sentiment d’abandon et d’impuissance résignée qui va jusqu’à altérer le sentiment maternel. « Ici on apprend à la mère l’importance d’une régime diversifié. On leur apprend à se laver les mains, à laver la vaisselle et les vêtements à préparer le lait pour le bébé et à le porter dans ses bras et non sur son dos. On leur enseigne la primauté de l’enfant sur les adultes. Elles apprennent aussi à manifester leur amour pour leurs enfants. Elles sont une peu désorganisée dans leur tête », explique Dona Pilli.
« La vie est précieuse, mais pas lorsque son destin est d’être malmenée »
Déployer un tel programme, c’est déjà un pari fou. Sa concrétisation est un autre problème. « Comment se procurer des aliments nutritifs sans tomber dans la malbouffe, les bas revenus et des mères qui apprennent des choses ici, mais qui ne sont ni préparées ni aidée par leur environnement immédiat à les traduire dans les faits sont les principales difficultés auxquelles est confronté notre programme », concède Dona Pilli très

Dona Pilli anime une séance de suivi des personnes touchées par le HIV (photo DS)
clairvoyante.
Triste ironie du sort au pied du volcan Toliman et le long de la rivière Madre Vieja –comme vieille mère- la nature et généreuse et prolifique, mais lorsqu’il leur arrive de ne pas écouler toutes leur production agricole les propriétaires ordonnent la destruction du surplus au lieu de le redistribuer
La contraception aiderait les mamans à voir un peu plus clair et à se ressaisir, mais « Les hommes s’y opposent. Ils veulent toujours plus d’enfants » et l’Eglise catholique freine des quatre fers. « La vie est précieuse, mais pas lorsque son destin est d’être malmenée », soupire Dona Pilli pourtant très pieuse.
En dépit des efforts et des espoirs, la nuit tombe sur San Miguel Pochuta et le CERNE sous les stridulations des insectes cigarra, chihara ou tchiguirio dans le parlé populaire. À la Finca on suggère que leur chant annonce le Carême ; une interprétation qui n’est pas toujours du goût d’une population qui a trop jeûné.
Dahmane SOUDANI
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