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Occupation israélienne du passage de Rafah. Le jeu trouble d’al-Sissi.

Lundi, le mouvement Hamas avait accepté la proposition de cessez-le-feu présentée par l’Égypte et le Qatar, proposition auparavant approuvée par Israël et soutenue par les États-Unis. Dans la soirée Netanyahou fait marche arrière et se désengage du projet. Le lendemain, après avoir demandé à la population du sud-est de Rafah, environ 150 000 personnes d’évacuer, l’armée israélienne bombarde cette ville.

Mardi, violant les accords passés en 2005 avec l’Égypte, les Israéliens prennent le contrôle du passage frontalier de Rafah, sud de la bande de Gaza, et s’aventurent même à faire parader des chars, sur lesquels ont été déployés des drapeau géants, de l’autre côté de la frontière sur le corridor de Philadelphie pour les uns, Salah Eddine pour les autres, en territoire égyptien. Dans la foulée, comble du mépris pour les organisations internationale, Israël interdit l’accès à l’ONU au point de passage de Rafah.

Ce comportement d’Israël ne doit rien au Hasard. « Le corridor de Philadelphie doit être entre nos mains et notre contrôle et tout arrangement autre que celui-ci ne sera pas accepté », avait déclaré Netanyahou 30 décembre 2023, lors d’une conférence de presse. Aussitôt, fin du même mois déjà, la presse israélienne a révélé que l’armée de Tel Aviv avait mené des opérations près du point de passage de Karm Abou Salem à l’est de Rafah. Cette première incursion fait suite au bombardement, le 22 octobre 2023, d’une tour de contrôle égyptienne près de Gaza. Le Caire s’est aussitôt empressé de démentir la première opération et de qualifier la deuxième d’ « erreur ».

Tout un chacun comprend le souci de l’Égypte, confrontée à d’énormes problèmes économiques, de vouloir éviter une guerre couteuse et à l’issue incertaine, mais dans ce dossier, face au désastre humain qui frappe Gaza, le Caire joue un rôle, pour le moins très ambiguë.

Lundi dernier déjà, Middle East Eye, révèle que « ces dernières semaines », les services de renseignement militaires égyptiens avaient tenu des réunions avec les tribus du Sinaï pour discuter de leur rôle en cas d’invasion israélienne de Rafah, dans le sud de Gaza. En clair pour leur demander « d’aider l’armée à empêcher un afflux massif de réfugiés palestiniens de Gaza vers Rafah en Égypte ». Au cours de ces contacts, les officiers égyptiens ont néanmoins estimé, dans le cas d’une opération terrestre israélienne sur Rafah, cet afflux à 50 000 à 250 000 gazaouis déplacés vers le Sinaï.

Les militaires cairotes ont un peu trop vite oublié que la tribu la plus importante du Sinaï, mais aussi du désert du Néguev, en Palestine occupée, est celle des Tirabin lointain descendants d’un certain Atiya, un Qurayshite, originaire de Turba à l’est de la Mecque et qu’ils vivent très mal la persécution et la destruction du mode de vie leurs frères par Israël ; destruction d’ailleurs dénoncée par l’union européenne en 2012.

Qu’à cela ne tienne ! Dès que les officiers égyptiens ont tourné le dos, les bédouins ont créé une alliance des tribus que d’aucuns ont déjà baptisée République des tribus du Sinaï, dirigée par l’influent homme d’affaires Ibrahim al-Organi. Et c’est en tant que telle cette nouvelle entité a été la première à dénoncer l’incursion israélienne et son occupation du passage de Rafah. Le ministère Égyptien des Affaires étrangères a, ensuite emboité le pas à la communauté des bédouins du Sinaï, suivi enfin de la présidence égyptienne finit elle aussi par réagir.

En raison de l’attitude rampante suivie par al-Sissi, l’Égypte est perdante à tous les niveaux y compris au niveau de ses intérêts stratégiques, voire existentiels. Le régime du Caire reste impassible face au martyr unique des Gazaouis. Il participe ainsi à briser l’axe de résistance et d’émancipation des peuples de la région en raison d’une obsession née de susceptibilités idéologiques. En outre, bien que le Caire tente de se convaincre que le leader des tribus du Sinaï soit proche des cercles gouvernementaux, l’Alliance des tribus du Sinaï représente une réelle fissure dans le ciment de l’unité territoriale du pays et nourrit déjà la voracité d’Israël qui y voit une opportunité pour son expansionnisme.

Les autorités égyptiennes sont tout à fait conscientes, par ailleurs, que 250 000 Palestiniens poussés ou encouragés à être poussé hors de la bande de Gaza, vers le Sinaï représentent une modification démographique qui pourrait être fatale -le fameux port flottant fera le reste- à ce territoire comme terre palestinienne. Al-Sissi pourra toujours se laver les mains en disant qu’il ne contrôle plus le passage frontière, mais la perte du territoire de Gaza constitue, de facto, une modification géostratégique mortelle pour l’État palestinien et qui, dans tous les cas, affaiblira durablement l’Égypte elle-même à commencer par  le canal concurrent à celui de Suez.

Dahmane SOUDANI  

Le corridor de Philadelphie également appelé la Route de Philadelphie ou encore route Salah Eddine, est une étroite bande de terre de 14 Km de long et de 100 m de large, située le long de la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza, établie en vertu des dispositions du traité de paix Égypte-Israël de 1979 ; traité qui, lui-même, découle des accords de Camp David du 17 septembre 1978, passés entre Anouar as-Sadate et Manahem Begin sous la houlette de Jimmy Carter, depuis auteur du livre « Palestine : la paix, pas l’apartheid ».

Selon le traité de 1979, cette zone tampon située en terre égyptienne et entre deux territoires arabes, Gaza est l’Égypte, sera pourtant patrouillée par les israéliens. Autrement dit, un colonisateur qui obtient la garantie de sa sécurité au détriment des colonisés et de leur voisin et allié naturel.

Les accords d’Oslo de 1995 permettent à Israël de conserver ce corridor. Mais dix ans plus tard, à l’issue du retrait des forces d’occupation de la bande de Gaza, à l’automne 2005, l’accord de Philadelphie est conclu avec le Caire permettant à l’Égypte de déployer 750 gardes-frontières le long de ce couloir frontalier, du côté Sinaï. Le côté gazaoui de la frontière est alors contrôlé par l’autorité palestinienne, jusqu’à ce que le Hamas s’empare du pouvoir, par les urnes, en 2007.  

Le contrôle du poste de Rafah fut transféré à l’autorité palestinienne, côté Gaza et à l’Égypte, côté Sinaï afin de restreindre la circulation y compris des personnes des détentrices d’une carte d’identité palestinienne et ainsi garantir la sécurité d’Israël.

Depuis le 7 octobre dernier, contrairement aux accords de 2005, Israël tente de reprendre le contrôle de ce corridor. Fin décembre 2023, Israël a mené, depuis ce couloir des opérations contre le poste frontalier de Karm Abou Salem. Le 7 mai 2024, l’armée de Tel Aviv a pris le contrôle du point de passage de Rafah et ses chars, déployant d’immenses drapeaux israéliens, ont, de nouveau, paradé sur le corridor Salah Eddine.

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