L’US Open prend une décision de médiatisation qui semble ne pas prendre en compte l’évolution, voire la restructuration profonde, de l’univers des communications ; une expérience à observer de très près.
Dans quelques heures, le stade Arthur-Ashe dans le quartier du Queens à New York va accueillir, la finale masculine de l’US Open de Tennis. Une édition 2025 entièrement méditerranéenne, puis qu’elle opposera l’Italien Jannik Sinner (24 ans), numéro 1 mondial et l’Espagnol Carlos Alcaraz Garfia (22 ans) qui occupe la deuxième marche du podium, depuis août 2025. Dans le monde du sport, l’évènement est en lui-même important, mais un invité exceptionnel, en la personne du président Donald Trump, risque de déplacer le point focal de ce rendez-vous ; de façon positive ou négative pour le président américain, personne ne le sait.
Donald Trump garde un très mauvais souvenir de sa présence à l’ultime phase de cette compétition en 2015. Il avait alors été copieusement sifflé et hué. Mais il était en pleine campagne pour la présidentielle de 2016 et faisait alors face à la redoutable opposition du puissant et profond appareil du Parti démocrate et à l’hésitation d’une partie du Parti républicain auquel le candidat d’alors est apparenté. Le guet-apens n’était pas évident, mais prévisible.
Un nouvel acteur qui bouleverse les règles du jeu
En l’absence d’une idée assez précise sur l’accueil qui sera, cette fois-ci, réservé, par le public ou une partie de celui-ci, au locataire de la Maison-Blanche, l’US Open a demandé aux médias de ne pas transmettre les éventuelles réactions négatives à la présence du président.
La requête s’adresse en premier lieu à la chaîne Disney ESPN qui détient les droits américains de retransmission du tournoi de tennis et en particulier à sa filiale ABC qui diffusera la finale masculine de ce dimanche. Cette mesure garantie-t-elle une médiatisation valorisante pour le président Trump ? Rien n’est moins sûr.
Traditionnellement, en règle générale, dans le domaine sportif, les caméras ne prennent en charge que quatre champs que sont les compétiteurs, le public, les staffs techniques et accessoirement les officiels, avec quelques transgressions comme celle, par exemple, d’un supporter, souvent désespéré, entrant, par effraction, dans l’aire de jeu avec un message très particulier.
Jusqu’à la fin du siècle dernier, les retransmetteurs étaient toujours identifiés, connus, accrédités et pouvaient, de ce simple fait, à défaut d’être contrôlés, être fermement orientés. Mais depuis, il y a une nouvelle donne. N’importe quel spectateur ayant un ordiphone (smartphone), peut, non seulement immortaliser un incident singulier, de son propre choix -qui n’est pas forcément celui des médias semi-institutionnels- et le diffuser, donc le rendre public, en temps réel, mais aussi avoir un véritable retentissement (buzz) sur la toile, voire au-delà ; puisqu’il arrive de plus en plus souvent que certains des toiliens (nous privilégions ce terme à celui d’internautes) et leur réalisations deviennent, à la fois sources et sujets brûlants d’actualité pour les médias traditionnels. C’est cet acteur de l’univers des communications que semble avoir perdu de vue l’US Open.
Le syndrome de Gaza
Ce dimanche, quelques heures seulement avant de début de la compétition opposant Carlos à Jannik, la notification de l’US Open a fait les choux gras des médias américains. On peut concéder que, globalement, ceux-ci sont connus pour leur opposition systémique au président Donald Trump, le plaçant souvent dans une situation de communication paradoxale -au sens donné à cette expression par l’école de Palo Alto- où tout ce qu’il dit, est retourné automatiquement contre lui.
La grande inconnue, c’est la réaction du public et des toiliens. Le public va-t-il rééditer les huées de 2015 ? Seul l’avenir TRÈS PROCHE nous le dira. Si tel était le cas, les internautes, essentiellement animés par la recherche du buzz, mais aussi par la libre circulation de l’information, n’hésiteraient pas, un seul instant, à diffuser ce chahut. En dépit de la chape de plomb imposée par l’armée de Netanyahou, les cris de douleur et du supplice de Gaza sont parvenus aux yeux et aux oreilles de l’autruche, des autruches du monde « libre » !
« L’interdit, c’est notre paradis »
« Rien ne nous plaît plus que l’interdit. C’est là qu’est notre paradis », disait déjà, en son temps, l’homme de lettres russe, Alexandre Pouchkine. À ce titre, la notification de l’US Open a, du fait de la complicité déjà affirmée entre le public et les réseaux alternatifs de communication, de fortes chances de provoquer l’effet exactement inverse.
La communication sociale n’est pas un phénomène moderne comme ont tendance à nous le faire croire les gourous de la conscience, obnubilés qu’ils sont par le développement des supports. Elle est aussi ancienne que la vie en société. Bien avant les moyens de communication de masse, elle a déjà forcé les langues de passer du stade vernaculaire (outil d’interaction au sein de groupes restreints) au stade véhiculaire (outil de communication au sein de communautés beaucoup plus vaste, partiellement universalisées). C’est confronté à de cette exigence de communication véhiculaire que le gallique ou celtique gaulois et a enfourché, il y a dix-huit siècles, le sermo vulgaris (littéralement, « langage populaire ») ou le latin vulgaire, ancêtre du français ancien et donc du français moderne. Un exemple parmi tant d’autres.
Depuis le début de la vie en société au temps présent, on peut momentanément et de façon tout à fait artificielle, brider la communication, mais il est impossible de la contenir indéfiniment. À ce titre il est intéressant d’observer ce qui va se passer au stade Arthur-Ashe. Du point de vue de l’approche critique de la communication, cela va être très intéressant.
Dahmane SOUDANI



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