Il est difficile de savoir ce qui s’est réellement passé en Syrie, au point de provoquer l’effondrement de l’État et de ses institutions, à l’issue de 12 jours seulement, d’attaques de groupes armés (entre le 27 novembre et le 8 décembre) auparavant, pour l’essentiel d’entre eux, cantonnés dans la région d’Idlib.
Bachar al-Assad est parti. Depuis hier, mardi, la Syrie a également un nouveau gouvernement de transition, dirigé par Mohammad al-Bachir, ancien Premier ministre du gouvernement du Salut syrien, en exil. Tout ceci se passe sous la houlette bien évidemment d’al-Joulani, chef de l’organisation extrémiste al-Nosra, recyclée en Hayet Tahrir al-Sham déclinée sous l’abréviation de séduction HTS. Mais comment est-on arrivé là aussi rapidement ? Tous les experts peinent à trouver une réponse convaincante.
L’armée était au courant
La grande énigme cet épisode reste l’Armée et son positionnement face aux assaillants. Elle n’a pratiquement engagé aucune action notable, se contentant essentiellement de se replier en dehors des villes, à l’annonce de l’arrivée des groupes armées. Elle avait pourtant largement le temps de se préparer et d’infliger de sérieux revers aux groupes terroristes. « Nos amis dans les services de renseignement iraniens et syriens, étaient totalement au courant de ce qui se passait à Idlib et dans les autres régions et toutes les informations ont été transmises à l’État syrien et à l’armée syrienne. Ils avaient également d’autres informations, mais la surprise est venue de l’incapacité de l’armée syrienne à affronter les groupes d’opposition et de l’accélération des évènements », s’étonne, dès lundi, Abbas Araghtchi, ministre iranien des Affaires étrangères, repris par al-Jazeera. Et pourtant al-Joulani lui-même concède que ses groupes étaient « beaucoup plus faibles que l’ennemi » et que « la bataille devait être perdue » (notre hors texte)
Dans un entretien avec le parlementaire britannique George Galloway, l’ancien officier américain Scott Ritter et grand soutien de la Palestine, dit avoir été « totalement pris par surprise ». Il ne s’attendait pas à un effondrement aussi spectaculaire de l’armée syrienne et à une avancée aussi rapide des insurgés.
Erdogan a-t-il trahi Poutine ?
L’analyste et ancien agent de la CIA Larry C. Johnson, concède, lui, aussi, qu’il a été pris au dépourvu, mais désigne Erdogan comme premier responsable de la dégradation rapide de la situation en Syrie. Il accuse ouvertement le président turc de mener des actions combinées avec Israël et de trahir ouvertement la Russie. « Le véritable responsable de tout cela, c’est la Turquie. Je ne sais pas qui joue le jeu de qui ? Est-ce la Turquie qui joue le jeu de l’Occident ou est-ce l’Occident qui joue le jeu de la Turquie ? Mais ce qui est clair, c’est que la Turquie a trahi la Russie et Vladimir Poutine. Elle les a trahis ! », tance-t-il. Très remonté contre Erdogan, Larry C. Johnson ajoute : « Comme tout le monde doit payer le prix (de son action). Il doit être renversé, il doit être poussé hors de ses fonctions, il doit être sanctionné et payer le prix. Parce que ça ne peut pas continuer. Il parle d’un ton dur à propos d’Israël et pourtant il collabore avec les Israéliens. Il se coordonne avec les Israéliens et mène des frappes militaires contre des unités de l’armée syrienne. Il travaille avec les Israéliens pour attaquer les unités militaires syriennes. »
La Russie semble néanmoins avoir pris ses devants. Dimanche dernier, dès l’annonce du départ de Bachar al-Assad, elle a dévoilé qu’elle était déjà en contact avec les chefs de la rébellion.
Le professeur Jeffrey Sachs de l’université de Columbia (New York) n’exclue pas que la haute hiérarchie de l’armée syrienne ait été « corrompue, subornée ou retournée » par les services secret israéliens et américains. Il précise, en outre, que les insurgés avait effectivement été soutenus par la Turquie mais que celle-ci n’avait jamais imaginé que ses protégés pouvaient aller aussi loin.
Les décisions illégales ont provoqué la faillite financière de l’État
Dans un message audio enregistré avant son départ, al-Assad déclare « Je laisse la liberté de choix à l’armée de décider de son destin conformément aux intérêts du pays et à la garantie de sécurité pour les Syriens à l’intérieur et à l’extérieur du pays ». Cet extrait fait partie d’une déclaration qui devait être diffusée juste après son départ, mais il en été autrement. Elle semble, néanmoins, témoigner d’un malaise latent entre le pouvoir et l’armée. Rappelons, à ce propos que le traitement mensuel d’un général de l’armée ne dépasse guère la cinquantaine de dollars. Mais les recettes de l’État ont été drastiquement réduites sous l’effet de la présence illégale de forces étrangères sur le territoire syrien ; présence qui a jeté son dévolu sur hydrocarbures et empêché le gouvernement central de tirer profit du potentiel agricole des riches terres situées à l’est de l’Euphrate. Les sanctions également illégales et les agressions régulières d’Israël ont aggravé cette crise des ressources.
L’armée fut sans doute affectée par cet appauvrissement du pays. En outre, les jeunes officiers vivent apparemment très mal la patience stratégique observée envers les agressions répétées d’Israël. Ils vivent ces attaques comme une humiliation. Ils auraient préféré combattre que de subir les bombardements répétés. Certains militaires auraient même soutenu qu’il ne comprenaient pas pourquoi ils iraient combattre des Syriens, comme eux, alors qu’on les empêche de réagir aux attaques répétées d’Israël.
Sur la base de tout ce qui précède, Al-Assad lâché par une partie de la hiérarchie militaire avec transmission de l’information sur ces défections aux extrémistes d’Idlib, serait l’hypothèse la plus crédible.
Reste que refuser de se battre est une chose, mais déserter son poste -y compris les sites de défense anti-aérienne- et permettre à Israël de détruire, aussi facilement, le potentiel militaire du pays est une faute très grave. Elle peut être assimilée à la haute trahison.
Dahmane SOUDANI
Extrait de la déclaration d’al-Joulani, faite depuis la Grande Mosquée des Omeyyades et mise en ligne le 11 décembre 2024
La bataille était, c’est vrai, vous l’avez vue, facile, mais beaucoup de préparatifs lui ont été consacrés. Mais louange au Tout-Puissant, il nous a guidés. Nous étions beaucoup plus faibles que l’ennemi, Mais les armes avec lesquelles nous avons combattu, étaient de fabrication locale. Nous avons fait de grands efforts pour obtenir ces armes à la sueur de notre front. Même l’argent que nous avons dépensé a été gagné à la sueur de notre front. Il n’y a pas eu d’État pour nous soutenir, comme il n’y avait personne pour inciter à cette bataille. En faisant une évaluation simple, la bataille devait être perdue, mais grâce au Tout-Puissant nous avions une grande conviction et nous avions la conviction d’en sortir victorieux.


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