Alors que le père se trouvait à la mairie pour enregistrer leur naissance, un tir de l’armée de l’air israélienne lui vole ses deux jumeaux. Leur maman et sa mère périssent également dans l’attaque. En une fraction de seconde, un moment de joie vire au cauchemar.
Dans le chaos et le carnage les plus extrêmes le Gazoui Mohamed Abou al-Qumsan pensait pouvoir préserver le cocon qu’il avait bâti autour de sa petite famille, au moins partiellement. Cette enveloppe douillette, en dépit de l’horreur qui l’entoure, avait accueilli depuis trois jours (le 10 août 2023) deux nouveaux nées, deux très beaux bébés jumeaux Asser et ayed.
Mohamed ne voulait pas croire ses yeux
Au troisième jour, Mohamed, le jeune père est parti enregistrer la naissance des deux poupons à la mairie de Dar el-Balah – à mi-chemin entre les villes de Khan Younès et de Gaza. Mais quel fut son désarroi, lorsqu’à son retour, à l’approche du quartier de sa résidence, il vit son appartement, situé au dernier étage d’un petit immeuble, éventré par un tir aérien. C’était le seul appartement visé et détruit. Il n’y a pas eu d’autres !
L’espace d’un instant, Mohamed a sans doute pensé que ce n’était pas son immeuble et que porté par l’émotion de l’heureux évènement, il s’était simplement trompé de rue. Mais une désillusion des plus terrassantes s’empara de lui au fur et à mesure qu’il remettait les repères. Et puis il y a ces gens au pied de l’immeuble qu’il connaissait depuis fort longtemps, qui, à son approche, venaient à sa rencontre. Même avec tous ces indices et faisceaux le jeune père a, sans doute, encore supposé que ces voisins venaient vers lui pour le réconforter et lui annoncer que l’appartement a été touché, mais par, on ne sait trop quelle providence, sa famille est saine et sauve.
Cruelle réalité
La réalité est, cependant, plus cruelle. Quelles furent, en effet, sa détresse et son accablement lorsque sur tous ces visages familiers, Mohamed lut les signes évidents du deuil et du désarroi. L’ombre de la mort l’envahit. Dès les premières paroles prononcées par les plus téméraires de ce mouvement funeste, il comprit que c’était fini. En un clin d’œil, le ciel lui tomba sur la tête. Il vient de perdre son épouse, leurs deux magnifiques bébés, à peine âgés de trois jours, et sa belle-mère, venue, pour ce qui la concerne, prêter main forte à sa fille pour gérer ce qui fut un heureux évènement.
Terrifié par ce drame, Mohamed, dos au mur, n’avait plus que des cris de douleurs comme moyen de dire au monde sa souffrance insupportable. Même lors de la prière aux morts, le jeune père pourtant très pieux, ne pouvait pas retenir ses sanglots.
Ciblage volontaire ?
Mais au-delà de la dimension dramatique de ce crime, comment expliquer que seul cet appartement du quartier avait été ciblé par cette attaque meurtrière ? À bien examiner les extraits de naissance des deux petits anges qui portent les numéros « 4 7033398 0 » et « 4 7033396 4 », on réalise très vite que le système d’état civil, à Gaza, est informatisé. Dès lors, il n’est pas exclu, qu’à partir d’une interception de l’enregistrement des naissances, le tir ait été effectué sur la base de cette donnée. Sinon comment explique ce ciblage et ces coïncidences pour le moins troublantes. L’effroyable réalité du nettoyage ethnique, c’est de voir en toute nouvelle naissance, chez les populations ciblées, une menace, donc un objectif militaire à traiter. Le 5 août dernier, Bezalel Smotrich, le soi-disant ministre israélien des Finances, en fait un milicien psychopathe, n’avait-il pas déclaré : « nous ne pouvions pas, dans la réalité mondiale actuelle, gérer une guerre. Personne ne nous laissera faire mourir de faim deux millions de civils, même si cela pourrait être justifié et moral, jusqu’à ce que nos otages nous soient rendus.»
En tout cas, il serait très intéressant que des juges indépendants obtiennent le nom de l’opérateur ou du pilote qui a effectué le tir sur le domicile Abou al-Qumsan et puissent l’interroger. Ça a été possible dans d’autres situations, pourquoi celle-ci ferait-elle exception ? L’exceptionnalisme est le terreau de de la bête immonde, de toutes les bêtes immondes.
L’impuissance résignée est aussi dangereuse que les crimes
Les donneurs d’ordres de proximité et ceux qui ont appuyé sur le bouton de tir sont, sans aucun doute, des criminels, responsables de la mort d’Asser, d’ayed, de leur mère et de leur grand-mère, mais ceux qui depuis Tel Aviv , avaient initié le massacre de masse à Gaza, leurs soutiens à l’international, essentiellement leurs pourvoyeurs en armes, en munition et liquidités sonnante et trébuchantes, endossent l’entière responsabilité, non seulement de l’assassinat de ces deux bébés, mais aussi de celui des 16 000 enfants tués dans la bande de Gaza depuis octobre 2023.
La résonance du supplice de Mohamed a atteint les quatre coins de la planète, mais le monde persiste dans une forme d’impuissance résignée terrifiante, encore plus effroyable que la barbarie assassine elle-même, car elle acte l’impunité de cette dernière et lui fournit un blanc-seing pour poursuivre le carnage.
Bien évidemment le déni de réalité institutionnalisé par l’empire du mensonge est devenu plus puissant que l’aspiration à la manifestation de la vérité et a eu son mot à dire dans cette léthargie suicidaire, mais cela n’explique pas tout et ne justifie rien. Pour peu qu’on y mette un peu de bonne volonté, il y a toujours des moyens d’échapper à un monde dystopique (1).
Dahmane SOUDANI
(1) La dystopie désigne une société organisée de façon telle qu’il soit impossible d’échapper à ses injonctions, même avec le maintien de séparation des pouvoirs, et dont les dirigeants peuvent exercer un pouvoir tyrannique.





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