Même des bourdes aussi grossières peuvent générer des tempêtes médiatico-politiques.
Jean-Luc Melenchon, antisémite ? À moins de faire preuve d’une mauvaise foi viscérale, aucune personne sensée ne peut prendre au sérieux une telle ineptie. En marge du troisième congrès de son parti qui se tenait à Bordeaux, le co-président du Parti de Gauche (PG) avait traité Pierre Moscovici, ministre français de l’économie de « Quelqu’un qui ne pense plus en français, mais dans la langue de la finance internationale ». C’est cette phrase livrée, samedi dernier à une douzaine de journalistes qui a valu à M. Mélenchon cette sentence inquisitoriale. La première périphrase a même été transformée en « Quelqu’un qui ne pense pas français » en lieu et place de « Quelqu’un qui ne pense plus en français » y compris par l’un des media français de référence. Transcription révélatrice d’une prédisposition à vouloir abattre le candidat du Front de gauche à la dernière présidentielle ou simple erreur résultant du rythme de travail inhérent au métier ? Difficile de répondre à cette question !
La vérité est dans le rétroviseur
Sur ce point le Parti de Gauche et Jean-Luc Mélenchon ont rapidement remis les choses en place. «Dire cela, ce serait de l’antisémitisme ? Plus aucune discussion n’est possible dans ces conditions !», s’est indigné le co-président du PG à la tribune du 3e congrès.
Reste que nombre de politiques allant de Jean-François Copé (UMP) à Harlem Désir (PS) en passant par Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP) et plus généralement, une partie de l’état major du PS, se sont, avec une facilité déconcertante, engouffrés dans la brèche.
Pour tenter de trouver une explication à cette levée de bouclier, il faudrait peut-être, à travers quelques exemples, jeter un coup d’œil dans le rétroviseur et un autre sur le tableau de bord du PG qui revendique une assise de 12 118 adhérents.
En quatre ans d’existence, grâce à l’effet Mélenchon, ce parti a réussi à captiver une partie de l’extrême gauche et en même temps à se débarrasser du statut de simple force de contestation dans lequel les « grands partis » auraient bien voulu l’enfermer et à afficher clairement son ambition gouvernementale.
… Et le tableau de bord
Par ailleurs, à en juger par la participation au 3e congrès de ce parti, le nombre d’associations et de sensibilités politiques républicaines et de gauche, écologistes en
particulier, qui viennent frapper à la porte du PG, est en hausse et cette formation politique met l’écosocialisme, en tant que « refondation du socialisme débarrassé du productivisme », au « coeur de son projet politique ». Dans ces conditions, l’attractivité déjà exercée sur l’extrême gauche peut être rééditée avec les écologistes. Ce qui n’est sans doute pas du goût de la rue Solferino.
Pour ce qui la concerne, la droite n’est pas épargnée par les pointes acerbes du PG. Il suffit de visiter le site de ce parti pour se rendre compte que sa direction ne veut pas qu’à travers des prénotions comme la gouvernance politique, le suffrage censitaire chassé par la porte, voilà plus de deux siècles, revienne par la fenêtre.
Réduire Jean-Luc Mélenchon au silence arrange donc pas mal de monde. Il y a également un autre intérêt pour les partis dominants à provoquer cette tempête : rendre inaudible l’écho du congrès de du Parti de gauche.
Code de décryptage préétabli
Quant aux rapports de Jean-Luc Mélenchon avec la presse, il est vrai qu’ils sont parfois tendus. Il est également vrai que de temps à autre, on a le sentiment que le co-président du PG veut dicter aux journalistes, ce qu’ils doivent dire ou écrire. Mais il est tout aussi vrai qu’en France comme ailleurs, un nombre croissant de rédactions et de journalistes ne travaillent plus sur les faits, mais à partir de recettes toutes faites. En clair, les évènements sont de plus en plus perçus au travers d’un code de décryptage implicite préétabli. En fonction des acteurs impliqués, ce code positionne les événements générés par ces derniers sur un palier d’une échelle de valeur, palier qui leur est malheureusement affecté par avance. Ce code n’est évidemment pas écrit, mais imposé de facto. De ce fait, avant de faire l’effort d’observer les faits, censés être la matière première du métier, de plus en plus de journalistes convoquent d’abord ce code qui leur indique le positionnement affecté, au préalable, aux acteurs concernés, sur la grille de décryptage et la terminologie appropriée pour les qualifier.
D. S.




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