L’excision s’invite en Tunisie

Un député d’Ennahdha accusé de faire l’apologie de la mutilation génitale féminine

Après le député Abou Yaareb Marzouki qui accuse son parti Ennahdha de malversations, Abelfattah Mourou, vice-président de la même formation qui déclare que la direction de son mouvement mène le parti et le pays au désastre en demandant ouvertement à son président, Rached Ghannouchi de démissionner, c’est au tour d’un autre poids lourd du parti fondamentaliste, le député Habib Ellouz de jeter un gros pavé dans la marre. Celui-ci aurait déclaré à Samia M’zoughi, journaliste d’Al Maghreb (Tunisie) que « l’excision des femmes est une opération esthétique ». Bien évidemment, ces sorties qui montrent que le mouvement islamiste est dans la tourmente, ne sont pas à classer dans le même registre.

La plus récente et la plus grave est celle qui serait à porter à l’actif de Habib Ellouz, un « représentant » du peuple, donc des femmes et des hommes tunisiens et qui a accueilli, en grande pompe, voilà quelques temps l’intégriste égyptien Ouajdi Ghounim, grand sectateur de la mutilation génitale féminine (MGF). Suite au tollé soulevé par les déclarations qui lui sont attribuées, le député nahdhaoui nie en bloc.

Alors que l’auteur de l’interview, Samia M’zoughi soutient mordicus, que sa transcription reflétait bien la réalité des propos du député, celui affirme, sur le plateau de la chaine Mosaïque FM, que ses réponses ont été sorties de leur contexte et déformées. « Je lui ai dit que j’avais répondu à Ouajdi Ghounim que ce dossier (NDLR. de l’excision) n’est pas un sujet tunisien (…), que ce n’était pas une affaire tunisienne », plaide-t-il. Pour finir, interviewé et interviewer, s’accusent mutuellement de menteurs.

Les victimes ne choisissent pas, elles subissent

Reste que la balance penche plutôt du côté de Samia M’zoughi -même si son journal s’était déjà fait épinglé, en janvier dernier, par le Syndicat national des journalistes tunisiens pour manipulation-. Et pour cause, la direction d’Ennahdha elle-même a publié une communiqué pour se démarquer des propose de son député. Par ailleurs, 70 des 217 parlementaires de l’ANC (Assemblée nationale constituante) ont signé une pétition appelant à Habib Ellouz, à présenter ses excuses. Fatoum Lassouad députée  d’Ennahdha figure parmi les signataires de cette pétition.

Autre élément en faveur de Samia M’zoughi, lorsqu’en pleine interview, le journaliste de Mosaïque avait informé Habib Ellouz de la pétition des parlementaires, celui-ci a laissé apparaitre des manifestations évidentes de déni de réalité avant de se ressaisir. Le phénomène s’était déjà produit au cours du même entretien, lorsqu’il était question du communiqué d’Ennadha, le concernant. Contre vents et marées Habib Ellouz soutenait que le président de son mouvement n’était pas au courant de la diffusion de ce document ; ce qui est complètement fantasmagorique.

Au-delà de ce jeu de ping pong, la nature des propos rapportés est d’une gravité exceptionnelle. Il ne s’agit ni plus ni moins que de l’apologie et de l’incitation à la mutilation, exposant les victimes à des « risques irréversibles pour leur santé » selon l’UNICEF. Que M. Ellouz ne nous parle surtout pas du libre choix des personnes. Les victimes ne choisissent pas, elles subissent. En outre, là où elle est pratiquée, l’excision touche surtout des mineurs. « La MGF/E est surtout pratiquée sur les fillettes et les adolescentes âgées de quatre à 14 ans. Dans certains pays, toutefois, il arrive que les nourrissons de moins d’un an représentent jusqu’à la moitié des cas -44 % en Érythrée et 29 % au Mali, par exemple- », note l’UNICEF

Dahmane Soudani