792 personnes dont 107 ressortissants étrangers sauvées de griffes des égorgeurs de Tiguentourine, 32 terroristes tués et six autres capturés et malheureusement une cinquantaines d’autres personnes qui ont laissé la vie du fait de l’agression terroriste contre des innocents et visant un important équipement industriel algérien.
Tout le monde mesure la gravité de la perte d’une vie humaine, à fortiori lorsqu’il s’agit d’innocents. Mais si l’on ne tire pas de leçon de cet événement dramatique, on est condamné à le revivre, tous tels que nous sommes, comme des cibles aléatoires du terrorisme aveugle. Toutes les capitales du monde ou presque encensent aujourd’hui l’action de l’armée algérienne, mais lorsque ses troupes d’élite faisaient face à des risques potentiels pouvant être fatals pour les hommes qui les constituent, il y avait des responsables, y compris de grandes puissances, qui avaient fait preuve de jugements pour le moins légers au vu des enjeux, pour ne pas dire expéditifs.
Réduits depuis fort longtemps, à de véritables caisses de résonnance, certains média s’en sont fait les relais inconditionnels et zélés. Il est vrai que de plus en plus, un nombre croissant de rédactions et de journalistes ne travaillent plus sur les faits, mais à partir de recettes toutes faites. En clair, les évènements sont de plus en plus perçus au travers d’un code de décryptage préétabli. En fonction des acteurs impliqués, ce code positionne les événements générés par ces derniers sur un palier d’une échelle de valeur, palier qui leur est affecté par avance. Ce code n’est évidemment pas écrit, mais imposé de facto par le système médiatique dominant. De ce fait, avant de faire l’effort d’observer les faits, censés être la matière première du métier, de plus en plus de journalistes convoquent d’abord ce code qui leur indique le positionnement affecté au préalable aux acteurs concernés, sur la grille de décryptage. Sur cette échelle, en gros, les cotations affectées vont d’auteur « d’actes innommables » à celui dont toutes les dérives sont attribuées à « la communauté internationale » en passant par le célèbre « controversé ». Pour se rendre compte, il suffit de reprendre les articles de presse et de répertorier les tentatives de dévalorisation de l’action de l’armée algérienne à Tigentourine sur la base de simples supputations et autres approximations.
Personne n’a quoi que ce soit contre l’usage de ces expressions, mais à la condition que les situations décrites correspondent bien à leurs acceptions et que les journalistes qui les utilisent soient à même de démontrer en quoi telle ou telle personne ou décision est controversée et en quoi les décisions de telle ou telle autre peuvent être attribuées la communauté internationale. Ce qui est dangereux, c’est que ce journalisme à œillère fabrique et élabore son discours -distillé au compte-gouttes par de véritables gourous de la presse- et donc sa propre culture, la culture du raccourci. On n’est même plus dans l’idéologie, mais dans son sous-produit qui est la propagande ; une propagande qui par le mécanisme de la redondance crée une attente et donc fabrique son propre marché.
Sur cette grille, malheureusement, l’armée algérienne n’est pas bien cotée. Parce que le fameux code de décryptage en a décidé ainsi –on peut tenter d’expliquer pourquoi, mais là n’est pas l’objet de ce commentaire-. Elle est souvent, volontairement, assimilée aux agissements quelques gradés véreux.
En revanche, des mouvements qui sont en train de renvoyer certains pays arabes au Moyen-Âge sont adoubés et soutenus –ce qui n’est pas sans rappeler la promesse d’un certain responsable occidental de renvoyer l’Irak au Moyen-âge- (voir notre article « Monde arabe. Le printemps crépusculaire » publié le 3 juillet 2012). Fort heureusement, pour les forces spéciales de l’armée algérienne, elles ont été sauvées d’un charcutage médiatique en règle, par le bilan de leur action.
Sur un autre registre, en particulier, grâce aux interventions Mohamed Saïd, ministre la Communication, la médiatisation de l’action de l’armée algérienne a été conséquente et soutenue. On rarement vu un ministre de la communication aussi offensif et déployant un discours aussi bien structuré et aussi incisif.
Reste que si des opérations, comme celle menée ces derniers jours par l’armée algérienne à Tiguentourine, sont nécessaires, lorsque les conditions l’exigent, le traitement du terrorisme et de sa base arrière qui est l’intégrisme, nécessite une reconsidération en profondeur de l’action publique.
Il faut être réaliste depuis les années 1990, le contour phatique du parlé algérien et maghrébin –discours public- est envahi de références religieuses. Dieu est convoqué à chaque périphrase. Les initiatives, la création et le travail créateur de valeur ajoutée, l’esprit d’engagement, le sens des responsabilités et la capacité à contractualiser sont dévalorisés puisqu’ils relèvent d’abord de la volonté divine. En face, il n’y a aucune action collective visant à établir un juste équilibre entre le temporel et l’intemporel. Seule les aspirations d’individus ou de groupes d’individus à l’évolution sont au prise avec cette hégémonie de la référence au religieux qui s’apparente de plus en plus à un système structuré et présenté sous sa forme achevée ; c’est-à-dire une idéologie.
Si l’on estime que la modernité, la tolérance, la démocratie, les valeurs républicaines, la justice…, avec tout ce qu’elle peuvent libérer comme forces créatrices, sont des aspirations salutaires pour l’Algérie, il faudra bien s’efforcer de mettre les institutions publiques et l’École en particulier à contribution. Si l’on ne renonce pas l’hésitation sur ce point, si on continue à tolérer l’intolérance, c’est Pompéi qui sera au bout du cheminement.
Dahmane Soudani


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