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Énergie. Mobilisation mondiale contre les hydrocarbures exploités par fracturation hydraulique

La fracturation des roches du sous-sol par pression hydraulique pour l’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux, enfermés dans les sédiments schistes argileux, compactes et très imperméables –shale gas-, est dans le collimateur de l’association internationale « No Fracking ». Cette organisation, jeune, mais déjà implantée dans une quinzaine de pays (notre hors-texte) a lancé un appel pour faire du 22 septembre prochain, une journée mondiale anti fracturation. Une action initiée sous le mot d’ordre « Power up to ban fracking : Join the global frackdown » Dans cette perspective, très active, la fédération française vient d’effectuer une mission d’information et d’évaluation au Québec et en Pennsylvanie (USA) terre de prédilection de la fracturation.

Tour d’horizon de la question: La fracturation hydraulique (hydraulic fracturing) est un procédé de fissuration de la roche par l’injection de l’eau mélangée à du sable et à « divers additifs chimiques», sous une très forte pression, entre 100 à 700 bars, selon les sources. Ce procédé n’est pas nouveau. La littérature industrielle signale qu’il avait été expérimenté par Halliburton, le spécialiste américano-émirati des produits et services à l’industrie de l’énergie (70 000 salariés répartis dans 80 pays, pour un chiffre d’affaires 2011 de près de 25 milliards de dollars- en 1947 au Kansas pour le compte du groupe gazo-pétrolier texan Stanolind Oil and Gas Corporation.

Secret de fabrication

Journée mondiale contre les gaz schistes (photo DR)

À ce jour, les pays les plus concernés par l’exploitation des hydrocarbures schistes sont le Canada et les USA, mais des velléités sont apparues ça et là, en particulier en Afrique du Sud, Algérie, Allemagne, Danemark, Espagne, France, Suède, Lituanie, Grande Bretagne, Pays-Bas Irlande et en Pologne.

Problème, on ne sait pas tout le temps et avec précision, ce que recouvre exactement cette expression « divers additifs chimiques» mélangés à l’eau sablée sous pression. On sait d’après le géologue français Roland Vially de l’IFP Énergies nouvelles (France) qu’ils représentent « au maximum 1% » et qu’ils peuvent être classés « en 3 grandes catégories : les biocides qui réduisent la prolifération bactérienne dans le fluide, mais aussi dans le puits; les produits qui favorisent la pénétration du sable dans les fractures; les produits qui augmentent la productivité des puits ». Quant au sable, il a pour rôle de maintenir les fissures ouvertes.

S’abritant derrière le secret de fabrication, les compagnies qui exploitent les ressources fossiles non conventionnelles refusent de rendre publique la liste des produits chimiques qu’elles utilisent. Aux Etats-Unis, un projet de loi dit Fracturing Responsibility and Awarenesse of Chemicals act, déposé en 2009, visant à obliger les exploitants à divulguer les substances qu’ils injectent dans le sous-sol pour faciliter la fracturation, a été avorté par les lobbies gazo-pétroliers. Du coup, ce qui aurait pu constituer les prémisses d’un encadrement juridique, vole en éclat, en dépit des avancées réalisées en 2011.

Puits d’eau potable contaminés et effondrement du prix du bâti

Dans son édition du 19 août 2012 Pittsburgh Post Gazetterapporte, qu’à Woodlands (Pennsylvanie), près Zelienople, à environ 48 km au nord de Pittsburgh, en janvier 2011 les habitants de cette localité habituellement sans problème, ont constaté que l’eau provenant de leurs puits d’eau potable avait une couleur brune ou noire, selon le cas, sentait mauvais et contenait des éléments solides non identifiés. Les usagers qui ont utilisé cette eau pour se laver ont présenté des éruptions cutanées.

No Fracking USA, sans équivoque (photo DR)

Ceux qui l’ont absorbée ont eu nausées et vomissements. Quinze nouveaux forages avaient été réalisés de juillet à décembre 2010 dans les environs de cette localité par la compagnie Rex Energy. « Une partie de l’eau qui a été injectée pour réaliser la fracturation hydraulique est récupérée (20 à 70 %) lors de la mise en production du puits. Cette eau peut être soit traitée sur place au niveau du forage, soit être acheminée jusqu’à un centre de traitement. Ayant circulé sous forte pression dans les couches sédimentaires, elle est généralement chargée en sel et contient beaucoup d’éléments en suspension. Le traitement de l’eau consiste à éliminer les chlorures, les éléments en suspension ainsi que les métaux, les sulfates et les carbonates pour pouvoir la réinjecter lors de la fracturation hydraulique suivante » expliquait, en avril 2011, le géologue Roland Vially, à propos de la fracturation hydraulique en général.

Pendant quelque temps, Rex Energy avait fourni aux habitants concernés des réservoirs d’eau que les habitants désignent par le sobriquet, peu avenant de « buffalo », en remplacement des puits. Ce gazier a, ensuite procédé à des analyses qu’il avait commandées à un sous-traitant. « Il n’y a pas de différences notables dans la chimie de l’eau des puits en question avant et après les forage », mentionne le rapport du sous-traitant. Au moment de la publication des résultats, les habitants de Woodlands ont quand même constaté une amélioration de la qualité de l’eau.

Au final, on a évoqué la présence des anciennes cavités houillères, minières et pétrolifères pour opposer aux intéressés l’arme fatale de « conditions préexistantes ». Déjà privés d’eau, les habitants de ce bassin subissent une double peine en assistant impuissants à l’effondrement du prix du bâti.

En moyenne, la fracturation s’effectue à un kilomètre de distance et au-delà, en dessous de la nappe phréatique ; ce qui, selon les foreurs, rend improbable sa contamination par l’activité de fissuration de la roche. Ils attribuent les cas de contamination constatés à des défauts de cimentation des parties supérieures des forages.

La Pennsylvanie est le deuxième état pour le nombre de forages non conventionnels –n’utilisant pas les méthodes classiques-, mais il ne s’est doté d’aucune réglementation quant aux normes de réalisation des forages.

Trihalométhanes et prix de l’eau potable en hausse

Le 10 août 2012, une émission animée par l’écrivain et producteur de radiodiffusion Reid Frazier, depuis Pittsburgh et diffusée sur les ondes du programme « Living on Earth » de « Public Radio International » (Boston) a révélé la présence de bromure –composé organique bromé- en quantité importantes dans la rivière de l’Ohio et certains cours d’eau de la Pennsylvanie, avec un pic remontant trois ans. En lui même, le bromure n’est pas dangereux, mais associé au chlore dans les usines de traitement d’eau, il génère les trihalométhanes. Or une exposition à long terme à ces substances augmente les risques de cancer, de la vessie en particulier

Au cours de cette même émission, on apprend du témoignage de Frank Blaskovich, exploitant de la station de traitement de l’eau issue de l’Ohio et destinée la consommation des 30 000 habitants de la Ville de Wheeling (Virginie de l’Ouest) que depuis 2008, l’eau de cette vallée est devenue trop salée. Conséquence, l’exploitant est contraint de la mélanger avec de l’eau souterraine ; ce qui fait grimper le prix du M3 d’eau et ce n’est qu’un début.

No Fracking Canada dénonce le gaspillage d’eau (photo DR)

Certains débatteurs, présents à cette émission dont des scientifiques, sont convaincus que la présence de sel en quantité importante, est liée à la fracturation hydraulique dans la chaine de schistes de Marcellus –au cœur des Appalaches- qui court du centre de l’État de New York aux confins du Tennessee, en passant par l’Ohio, Pennsylvanie, la point ouest de Maryland, la Virginie de l’ouest et l’ouest de la Virginie. Il convient de noter, au passage que l’eau polluée par les additifs chimiques et l’activité de fracturation est cinq fois plus salée que l’eau de mer. Rappelons également qu’une seule fracturation de profondeur moyenne nécessite 10 000 à 20 000 m3 d’eau, soit la consommation quotidienne d’une ville algérienne (170 litres par habitant en juin 2011) de 58 824 à 117 647 habitants ou 1,82% à 3,63% de la consommation quotidienne d’une ville comme Paris (550 000m3/j), d’où la campagne menée par le Conseil des Canadiens No Francking sous le mot d’ordre sans équivoque « Don’t frack with our water » avec une pétition à l’appui qui circule, en ce moment, sur la toile. À ce titre, un récent sondage montre qu’au Canada, 62% des personnes interrogées sont pour un moratoire sur toutes les fracturations hydrauliques jusqu’à ce que tous les avis sur l’environnement à l’échelle de la fédération soient formulés.

Pour Frank Blaskovich, l’augmentation du niveau de bromure coïncide avec le développement des forages profonds effectués dans la région. En avril 2012, le Département d’État de protection de l’environnement a demandé aux foreurs de cesser d’envoyer leurs eaux usées aux stations de traitement.

Reste qu’au cours de cette même émission, Jeanne Van Briesen, professeur à l’université Carnegie Mellon avait soutenu qu’il n’avait y pas suffisamment de preuves pour dire que le forage par fracturation hydraulique est responsable de la présence de bromure dans les rivières. « C’est assez clair, les seuls endroits où il y a des augmentations significatives de bromure sont en aval de ces installations industrielles des eaux usées », nuance néanmoins le représentant de l’État présent à cette émission.

La Commission européenne pointe des risques

Quinze mois plutôt, une étude, publiée, le 14 avril 2011, par la revue américaine  « Proceedings of the National Academy of Sciences », avait, de son côté mis en évidence la contamination de l’eau potable par du méthane accompagnant les gaz de forage et la fracturation hydraulique.

Le 7 septembre 2012, la Commission européenne publie trois études intitulées « Gaz non conventionnels : impacts du potentiel énergétique sur le marché au sein l’Union européenne », « Impact de la production potentielle de gaz de schiste au sein de l’Union européenne » et « Appui à l’identification des risques potentiels pour l’environnement et la santé humaine résultant d’opérations impliquant des hydrocarbures de fracturation hydraulique en Europe ». Les deux dernières études confirment des émissions de gaz à effet de serre en quantité plus élevée que le gaz conventionnel importé, dans les cas de figure où l’exploitation non conventionnelle est mal maitrisée ; ce qui semble être la règle, au moins pour le forage horizontal. La troisième étude montre également que l’extraction du gaz schiste impact l’environnement de façon plus sévère que l’exploitation du gaz naturel conventionnel.

 Séismes

 Près de Youngstown, au nord est de l’Ohio à proximité d’un puits exploité, depuis décembre 2010, par D&L Energy, onze secousses, d’une magnitude allant de 2,1 à 4 degrés, ont été ressenties entre mars et décembre 2011. Elles se sont toutes produites à la même profondeur. Ces séismes ont été enregistrés après ceux déjà survenus dans des conditions similaires dans les États de l’Arkansas et du Texas en 2009.

En Grande Bretagne, dans le Lancashire, près de la ville de Blackpool où le groupe Cuadrilla Resources venait de réaliser un premier forage par fracturation hydraulique, deux secousses d’une magnitudes de 2,3 et de 1,5 sur l’échelle de Richter ont été ressenties le 1er avril et le 27 mai 2011.

Le problème pour un État comme l’Ohio, c’est que son sous-sol dispose d’énormes réserves d’hydrocarbures emprisonnés dans les roches schistes. Elles sont estimées à 21 millions de M3 pour le pétrole et à 42 millions de m3 pour le gaz naturel. C’est également le cas dans d’autres régions des Etats-Unis qui totalisent un potentiel de 23 000 milliards de m3. D’ailleurs, la première des trois études réalisées par le Commission européenne, citées plus haut, montre que le développement des gaz non conventionnels au pays de « Uncle Sam » a rendu accessible les plus grandes réserves mondiales de gaz liquéfié ; ce qui a eu pour avantage de réduire la tension sur le marché. Ce qui est loin d’être le cas pour les perspectives sur le Vieux continent. Aux USA, fin 2011, les gaz schistes représentaient déjà 12% de la production totale de gaz contre seulement 1% en 2000

 Convoitises considérables

Le 13 juillet 2011, la France est devenu le premier pays à interdire l’exploration et l’exploitation  des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique. Après le pavé juillettiste (de 2012 s’entend) d’Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif et face à l’insistance des groupes Total et de GDF Suez, intéressés par le bassin parisien et la rive ouest du couloir rhodanien (France), le président François Hollande a mis un terme, pour cinq ans au moins, aux tergiversations, le 14 septembre dernier, en fermant définitivement les portes aux fractionneurs. Une décision qui réjouit déjà les opposants a l’exploitation des hydrocarbures schistes, mais qui, après les Etats-Unis, met également un terme toute expérimentation d’encadrement juridique de la filière.

À ce tableau déjà assez sombre, les opposants à la fracturation hydraulique ajoutent la dégradation du paysage, les risques d’explosions à proximité des puits du fait de la concentration des gaz et l’absence de transparence de la filière.

Cela va-t-il suffire à contenir les convoitises des grands groupes et les visés des stratèges intéressés par une nouvelle géopolitique de l’énergie ? Rien n’est moins sûr. Il y a d’abord le coût financier –rien à voir avec le coût économique, social et environnemental- de l’exploitation qui est nettement plus faible que pour les hydrocarbures conventionnels. Il faut également compter avec l’importance du potentiel énergétique. Les réserves mondiales de gaz schistes représentent 4 fois celles du gaz conventionnel.

Le 22 septembre 2012 dans le monde (photo DR)

Sur le vieux continent, outre les bassins cités plus haut, l’Europe du Nord (Suède en particulier), l’Europe de l’Est (Pologne, Lituanie …) et l’Europe du Sud (la Drôme, bassin aquitain et le Midi-Pyrénées en France) intéressent les grands groupes industriels comme Shell, Total, GDF Suez, Exxonmobil… Il faut noter que la cartographie des ressources européennes, toujours en cours, conduite par le consortium Gash –comme gas shale- avec la participation entre autres de IFP Energies nouvelles, est parrainée par Statoil, ExxonMobil, GDF SUEZ, Wintershall, Vermilion Energy, Marathon Oil, Total, Repsol, Schlumberger et Bayerngas Norge.

En Afrique, l’Algérie et l’Afrique du Sud mènent la danse. Les réserves en gaz schiste du premier pays représentent quatre fois son potentiel conventionnel. Un premier puits a déjà été creusé en collaboration avec Shell et le Gouvernement montre des signes de détermination à aller vers l’exploitation des gaz schistes. Reste quand même un obstacle et pas des moindres : l’eau nécessaire à la fracturation hydraulique.

De son côté, également sous la pression des groupes pétroliers, le gouvernement sud africain dont la région semi-désertique de Karoo recèle 14 000 milliards de m3 a levé le 8 septembre 2012, le moratoire qu’il avait imposé en 2011.

En plus de ces desseins, la Chine qui disposerait des réserves les plus importantes au monde -25 000 milliards de M3- et dont les besoins en ressources énergétiques sont énormes, ne va sans doute pas se faire prier pour passer à l’acte.

Dahmane Soudani

 Pays accueillant une section de l’association No Fracking.

Afrique du Sud, Algérie, Allemagne, Angleterre, Australie, Bulgarie, Canada, Espagne, Irlande, Nouvelle Zélande, Pologne, Québec, Roumanie, Suisse et USA

Plus d’infos

Surfer :

http://www.govtrack.us/congress/bills/112/hr1084

http://www.pnas.org/content/early/2011/05/02/1100682108.full.pdf+html

http://www.loe.org/blog/blogs.html/?seriesID=1&blogID=32

http://nofracking.com

http://nofrackingfrance.fr

http://nofrackingwayquebec.org/#nex

http://canadians.org/water/issues/fracking/index.html

http://www.science.gouv.fr/fr/actualites/bdd/res/3906/les-gaz-de-schistes-shale-gas-quels-enjeux-quel-avenir-/

 

Consulter :

USA. Fracturing Responsibility and Awareness of Chemicals Act of 2011

France. Loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique publiée au Journal officiel du 14 juillet 2011

 

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